II Ne va pas croire que le Journal et l’École soient les Lumières de notre temps …

Malgré tant d’apparences … La fabrication de ces apparences, par des professionnels éprouvés, est justement essentielle au fonctionnement des pouvoirs.

Les Médias? Ils ne figurent certes pas l’usage public de la raison, plutôt son usage privé indéfiniment dupliqué. Et l’École? Il est maintenant bien connu que sa massification a permis d’empêcher sa démocratisation en la mimant.

En 1976, Jacques Derrida écrivait:

L’État veut attirer à lui des fonctionnaires dociles et inconditionnels. Il le fait à travers des contrôles stricts et des contraintes rigoureuses qu’ils croient se donner eux-mêmes, dans l’autonomie. On peut lire ces conférences [Derrida parle ici des conférences données par Nietzsche sur l’enseignement, éditées sous le titre de Sur l’avenir de nos établissements d’enseignement, en 1872], dès lors, comme une critique moderne des appareils culturels d’État, et de cet appareil d’État fondamental qu’était encore hier, dans la société industrielle, l’appareil scolaire. Qu’il soit aujourd’hui en passe d’être en partie remplacé par les médias, en partie associé à eux, voilà qui rend encore plus saisissante la critique du journalisme que Nietzsche n’en dissocie jamais.

Friedrich Nietzsche chez sa mère, Naumburg, 1894

Si l’on ne retient que les effets grégaires et massifiants du devenir public de la vie commune, comme c’est le cas de Nietzsche, on ne manquera pas d’en indiquer les mystifications. Ses conférences Sur l’Avenir de nos établissements d’enseignement envisagent bien l’actualité comme un phénomène culturel à part entière mais qui est désormais imposé, par le journalisme et l’école, comme l’absolue priorité de la “culture à la mode”.

Le narcissisme d’une époque entend se substituer à toute la patience de la culture et la manie de l’actualité s’offre, à peu de frais, un confort intellectuel qui voudrait faire l’économie de la douleur de l’œuvre et de la puissance du génie. Dans cette fausse vulgarisation de la culture, Nietzsche reconnaît la marque d’hommes qui ne peuvent plus être autre chose que des hommes actuels: des fonctionnaires, des officiers ou des négociants. Tout intérêt pédagogique étant désormais soumis aux fonctions de futurs techniciens, qu’ils soient ceux de la médecine, du commerce ou du verbe, la vulgarisation des savoirs actuels se substitue à la formation des hommes par la culture, c’est-à-dire à la démocratie.

C’est pourquoi l’homme public par excellence, le journaliste, représente, à ses yeux, un vecteur de l’inculture, contribuant à semer l’illusion qu’il n’est plus de modèles, de buts ni de maîtres. Le maître, l’éducateur véritable, fait le lien entre les hommes et les œuvres; sa mise à l’écart substitue à ce lien privilégié et exigeant la simple “chaîne de l’instant”. Le culte de l’actualité rend tous les individus également ennemis de l’esprit et la barbarie nouvelle est d’accepter de se rendre ainsi “esclave du jour”.

Tolstoï observait que la vulgarisation, effet pervers des métiers de l’imprimerie, s’appuie, en vérité, sur l’ignorance qu’elle encourage et alimente. Nietzsche fait du journaliste le sophiste à la mode, ennemi déçu de la culture et qui propage un facile utilitarisme: c’est dans le journal que culmine le dessein particulier que notre temps a sur la culture: le journaliste, le maître de l’instant, a pris la place du grand génie, du guide établi pour toujours, de celui qui délivre de l’instant.

Plusieurs modernités … Et plusieurs Nietzsche …

Monique Castillo

A suivre …

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