Le jeudi 24 octobre 1874, Fanny Moser fait paraître en page 4 de la Neue Zürcher Zeitung un avis mortuaire au nom de son époux, Heinrich.
Décédé subitement la veille à l’âge de 68 ans, le magnat schaffhousois de l’industrie horlogère (ses montres séduisirent la famille impériale russe, et Lénine en possédera une) laissait trois enfants: Henri, né d’un premier mariage, explorateur, collectionneur et écrivain; Mentona (1874-1971), ainsi nommée car conçue à Menton …, militante communiste de la première heure (elle fut déléguée suisse auprès du comité exécutif du Komintern), qui passera une bonne partie de sa vie entre l’URSS et la RDA.
Et enfin l’aînée de cette dernière: Fanny (comme sa mère), née en 1872, qui fut zoologiste et chasseuse de fantômes.

Montre Moser, en vente à Dubaï aujourd’hui
L’inscription en cyrillique est un hommage discret au tsarisme, à la Nomenklatura soviétique et à l’actuelle ploutocratie russe: de bons clients
La mort de Heinrich Moser, quatre jours à peine après la naissance de sa cadette, surprit beaucoup de monde. Et particulièrement Henri, le premier-né, qui cultivait une animosité certaine envers sa belle-mère: persuadé que son père avait été empoisonné, il en fait exhumer le cadavre pour pratiquer une autopsie … qui ne révélera rien de suspect. Le patriarche avait vraisemblablement succombé à une attaque cérébrale.
Fanny Moser mère, née Von Sulzer-Wart, devenait immensément riche … Mais profondément marquée par le trépas de son époux -et surtout par les polémiques qui avaient entouré l’événement.
1er mai 1889: Je me trouve en présence d’une femme paraissant encore jeune, aux traits expressifs, étendue sur un divan, la tête appuyée sur un traversin en cuir. L’expression de son visage est crispée, douloureuse, les yeux sont clignotants, le regard est dirigé vers le sol, les sourcils froncés, les plis naso-labiaux prononcés. Elle parle avec effort, à voix basse, interrompue de temps en temps par un trouble spasmodique de la parole allant jusqu’au bégaiement -elle s’interrompt souvent de parler pour émettre un bizarre claquement de la langue que je ne parviens pas à imiter -ce claquement comportait plusieurs temps; des confrères chasseurs qui l’avaient entendu en comparaient le son final à celui qu’émet le coq des bruyères lors de l’accouplement.

1885
L’auteur de cette description se nomme Sigmund Freud. La femme paraissant encore jeune, que le père de la psychanalyse surnomme Emmy von N., c’est Fanny Moser mère. Ce passage est extrait des Études sur l’hystérie, que Freud a publiées en 1895 avec Josef Breuer.
Emmy/Fanny jouera un rôle clé dans l’évolution de la pensée freudienne: c’est en s’occupant d’elle, admettent les spécialistes, que le médecin viennois a pris la décision de délaisser la pratique de l’hypnose pour lui préférer la cure par la parole -la psychanalyse au sens strict.
S’occuper de Fanny Moser? Au vu de ce que Freud écrit, elle en avait manifestement besoin. Douleurs, angoisses, cauchemars, hallucinations. A l’époque où j’avais 5 ans, mes frères et sœurs me lançaient très souvent à la tête des bêtes mortes; c’est alors que je me trouvai mal pour la première fois. Freud continue: Elle a fait des rêves affreux, les pieds des chaises et les dossiers des fauteuils étaient tous des serpents, un monstre à tête de vautour l’avait becquetée et mordue par tout le corps, d’autres bêtes sauvages s’étaient aussi précipitées sur elle, etc …
Sigmund Freud et Fanny Moser mère entretinrent une longue relation thérapeutique. Pour échapper à la délétère ambiance schaffhousoise, la veuve acquit en 1887, au bord du lac de Zurich, le château d’Au -dont le livre d’or porte encore les traces des visites du maître viennois.

Freud devint-il une sorte de médecin de famille? Ce qui est certain, c’est que Fanny Moser fille apparaît également dans ses écrits, et pas sous son meilleur jour: Elle traversait à cette époque une phase de développement anormal, montrait une ambition démesurée hors de proportion avec ses faibles dons, devenait insubordonnée, allant jusqu’à se livrer sur sa mère à des voies de fait. Je possédais encore la confiance de celle-ci qui me demanda mon opinion sur l’état de la jeune fille. L’impression que sa transformation psychique me causait fut défavorable et, en établissant mon pronostic, je dus tenir compte du fait que tous les demi-frères et sœurs de la malade (enfants d’un premier lit de Monsieur N.) avaient fini paranoïaques.
Troubles de la mère, oukases du médecin. Pas facile de respirer correctement dans une ambiance pareille. Roger Balsiger, petit-neveu de Fanny Moser fille, s’en faisait l’écho en septembre 1989 dans un long article pour la Weltwoche: Pour Fanny, comme pour sa sœur Mentona, il s’agissait d’ouvrir de l’intérieur la porte en fer du château d’Au. Car la liberté, l’autre monde, se trouvaient au-delà de cette porte.
Sur cette lourde porte, Mentona frappera à coups de faucille et de marteau. Fanny, elle, cognera dessus avec un puissant bagage intellectuel (avant de s’en remettre aux esprits frappeurs, on y reviendra). En 1896, après avoir obtenu sa maturité (dans un institut pour garçons à Lausanne, même le Dictionnaire historique de la Suisse échouant à retrouver lequel), elle effectue un exode, direction la Forêt-Noire, pour aller étudier la médecine à l’Université de Fribourg-en-Brisgau. Mais les choses n’allaient pas se passer tout à fait de la manière qu’elle aurait souhaitée.

Si vous plongez dans la baie de Tokyo entre fin août et début octobre, vous les verrez peut-être. De petites apparitions translucides qui ondoient. Des organismes d’environ 2,5 cm de long, dont la nage ondulatoire les fait ressembler successivement à un bouton de rose puis à un Casper le fantôme qui aurait un peu forcé sur la burrata. Si vous plongez de nuit et que vous braquez une lampe torche dans leur direction, vous les verrez clignoter de toutes les couleurs, comme une guirlande de lampions. Ce sont des cténophores, de lointains cousins des méduses (mais ils ne piquent pas). Plus précisément, l’espèce que vous trouverez en mer du Japon se nomme Bolinopsis mikado (Moser). Dans la nomenclature scientifique, le terme placé entre parenthèses renvoie au chercheur qui le premier a décrit, et nommé, une nouvelle espèce. Ici, Moser renvoie en fait à une chercheuse: Fanny Moser.
Nous l’avions laissée jeune fille dans l’atmosphère oppressante du château familial d’Au, près de Zurich. Que s’est-il passé ensuite? Une fois sa maturité en poche, mais contre l’avis de sa mère, elle pousse la porte de l’Université de Fribourg-en-Brisgau. On est en 1896, il faudra attendre quatre ans encore pour que Frédéric Ier, le grand-duc de Bade, octroie l’immatriculation universitaire aux Allemandes. Cela dit, un régime d’exception réservé aux étrangers (et aux étrangères) est en vigueur, et permet à Fanny Moser de s’inscrire comme étudiante en anatomie. Elle retourne ensuite à Zurich (dont l’université acceptait pleinement les candidatures féminines depuis 1864) pour y effectuer une propédeutique de médecine. Au tournant du siècle, elle change de voie, se prend de passion pour la biologie, et met le cap sur la Bavière; en 1902, elle soutient avec succès, à l’Université de Munich, une thèse sur l’appareil respiratoire des vertébrés (publiée sous le titre Beiträge zur vergleichenden Entwicklungsgeschichte der Wirbeltierlunge).
Fanny Moser publiera nombre d’articles académiques portant sur la faune marine (les cténophores donc, mais aussi les méduses ou encore les siphonophores, des cnidaires gélatineux), et de magnifiques livres (comme, en 1908, son Japanische Ctenophoren, accompagné de dessins très délicats, réalisés de sa main). Sous les auspices de l’Académie royale des sciences de Prusse, elle participera à plusieurs missions dans des stations de biologie marine, à Villefranche-sur-Mer (chez Charles Richet, aux alentours de Nice), dans la baie de Naples, et ailleurs…
Un beau travail, en particulier sur le très étrange Ernst Haeckel
Au tout début du XXe siècle, accéder au doctorat (en zoologie ou autre) n’était pas chose tout à fait commune pour une femme -pressions familiales, et plus largement sociales, obligent. Fanny Moser a réussi à abattre ces murs … En partie seulement: si son apport intellectuel fut largement célébré par ses pairs, ces laudations n’ont jamais été converties en une quelconque habilitation lui permettant d’enseigner et de gagner agréablement sa vie. Fanny avait beau être de bonne famille, la notion d’intellectuel précaire se conjuguait à la Belle Époque principalement au féminin.
Et un jour, l’amour frappe à la porte. Il a les traits de Jaroslav Hoppe, un musicien et compositeur tchèque. Avouons-le, ce n’est pas tout à fait Smetana, il ne marquera pas vraiment l’histoire de la musique occidentale. Il n’empêche: les deux tourtereaux se marient en 1903, et le couple s’installe à Berlin. Fanny Moser, qui a abandonné ses rêves de mandarinat, se trouve alors un emploi au Musée d’histoire naturelle de la capitale du Reich.
Tout va bien? Oui, pour quelques années du moins. Durant lesquelles Fanny écrit, décrit, dessine, définit, découvre. Berlin est un humus, elle y fleurit. Mais le 28 juin 1914, à Sarajevo, Gavrilo Princip assassine l’archiduc François-Ferdinand, l’héritier du trône austro-hongrois, et son épouse.

Ernst Haeckel, Rapport sur les siphonophores
Les merveilles de la nature sans Jéhovah le Surcodeur. Heil Heckel!
Le monde se délite. La santé de Jaroslav Hoppe aussi. En 1915, on lui diagnostique une maladie neurologique irréversible -les sources à notre disposition ne précisent pas laquelle, mais elle est suffisamment prégnante pour que Fanny Moser passe du statut de chercheuse indépendante à celui de proche aidante. D’autant plus que sa mère (son homonyme, rappelons-le, l’autre Fanny Moser, née von Sulzer-Wart), toujours en proie à ses troubles entre les multiples murs du château d’Au, décide au même moment de lui couper les vivres. En 1917, le couple Hoppe-Moser déménage à Kromeriz, la ville natale du mari, dans la province tchèque de Moravie. C’est là que Jaroslav Hoppe mourra, en 1926.
Ces années, Fanny Moser les endure comme une multiplication d’exils: coupée de son biotope scientifique berlinois, elle vit dans une contrée dont elle ne parle pas la langue, sa famille ne lui répond plus, et son mari s’emmure peu à peu dans son propre esprit. Dans son journal, à la date du 5 septembre 1920, elle écrit: Ma situation devient de plus en plus sombre … Ma vie est un tas de décombres … Aucune issue ne semble possible nulle part …
Une issue, Fanny Moser va en trouver une. Mais il s’agira d’une porte dérobée.
Elle va se prendre de passion pour l’inexpliqué, pour un domaine qui se situe aux antipodes de sa formation scientifique: l’occultisme, l’étude des forces invisibles de la nature. Comment expliquer cette conversion? Pour y comprendre quelque chose, il nous faudra remonter quelques années en arrière, et retourner à Berlin.

Rappelons-nous le diagnostic de Freud, pourtant, en 1887: Une ambition démesurée hors de proportion avec ses faibles dons …
Nous sommes en 1913 à Berlin, la zoologue Fanny Moser est une scientifique respectée, qui forme le plus joli des couples avec Jaroslav Hoppe, son compositeur de mari. Cette année-là, on inaugure dans la capitale le Marmorhaus, gigantesque cinéma planté sur le Kurfürstendamm; en mai, le tsar Nicolas II est en visite officielle; en août, le grand Aquarium de la Budapesterstrasse ouvre ses portes au public; en novembre, c’est une autre visite qui passionne les foules -celle de Caruso et de son fameux organe à décibels.
En 1913 à Berlin, vous pouviez aussi croiser Martha Fischer. En tout cas, Fanny Moser l’a rencontrée: A l’automne, nous avons fait la connaissance par hasard d’une chiromancienne, une vraie spirite. Elle nous a parlé d’un fabuleux médium privé, Mme Fischer, chez qui les tables ne faisaient pas que tourner, mais s’élevaient souvent dans les airs. Des matérialisations, c’est-à-dire des apparitions de personnes décédées, devaient également avoir lieu, et celles-ci devaient pouvoir se promener et être touchées parmi les personnes présentes.
La curiosité creuse l’esprit de Fanny. Jusqu’à la faire basculer. En février 1914, elle décide d’assister à une séance organisée par Martha Fischer dans son appartement de Charlottenburg. Un curieux aréopage occupe ce soir-là le salon de la Kantstrasse 75: la médium, la chiromancienne, un médecin non identifié ainsi que le mari de Martha -Hugo Fischer, diplomate et surtout membre du Alldeutscher Verband, une organisation d’extrême droite particulièrement antisémite, fondée en 1891 par Alfred Hugenberg (lequel sera d’ailleurs nommé ministre de l’Économie par Hitler en 1933).

Papy Hugenberg à gauche
La pièce était de taille moyenne, décrit Fanny. Au centre, un grand tapis fin avec une table ovale surmontée d’une lampe. Nous nous sommes assis tout autour. Dès le début, j’avais tâté le tapis de tous les côtés et je m’étais assurée qu’il ne cachait pas de gros appareils. Je n’ai pas non plus remarqué la moindre trace de fils électriques: tout semblait normal et inoffensif. Nous sommes restés longtemps assis en silence, sans que rien se passe. La médium s’est excusée à plusieurs reprises et a demandé de la patience.
Une patience qui sera récompensée: C’est alors que l’incroyable s’est produit! Aujourd’hui encore, mon esprit s’arrête: un craquement léger mais net dans la table, et tout à coup, elle s’est soulevée avec une telle violence et une telle rapidité que nous avons tous sursauté et repoussé les chaises. Comme si elle avait été soulevée par un poing géant ou un boulon de fer sorti du sol, la table s’est élevée verticalement d’environ un demi-mètre, y est restée suspendue un court instant, puis est retombée lentement.
La table se soulèvera une deuxième fois, puis, la maison ne reculant devant aucun sacrifice, une troisième encore, cassant un de ses pieds en retombant. Ce n’est pas fini: voilà maintenant qu’on entend des coups, un esprit frappeur se manifeste! Que cherche-t-il à nous dire? Aucune idée, mais tout le monde prend des notes …
Tempête sous un crâne. Fanny Moser tente de mettre un peu d’ordre dans ses idées: Tout était-il une illusion? Une hallucination? J’ai examiné la table brisée et penchée, le pied cassé, preuves irréfutables de la réalité objective de ce qui s’était passé. Je cherchais encore une fois une quelconque explication -en vain. J’étais comme frappée à la tête comme quelqu’un qui subit un tremblement de terre pour la première fois et dont tout est détruit.

Siphonophore
Pour elle, c’est effectivement un tournant. Cette expérience l’a complètement déstabilisée et a provoqué chez elle une véritable crise de la connaissance, écrivait l’année passée la chercheuse Ina Schmied-Knittel dans un article qu’elle lui a consacré (Occultism as a Resource, paru dans Journal of Anomalistics). Fanny Moser le reconnaissait elle-même: J’étais sûre d’une chose: si ma table folle était une vérité objective, alors tout le reste de l’occultisme pouvait tout aussi bien être une vérité objective et notre vision du monde devrait se transformer de fond en comble.
Ce qui est également certain, c’est que cet événement frappant s’inscrit dans un contexte troublant, comme on l’a vu dans l’épisode précédent: la guerre approche, la maladie de son mari également, l’exil mal vécu se profile. Ce qui est possible, c’est que cette nuit berlinoise ait fertilisé un terreau préexistant: quand elle était enfant, on la surnommait Thomas, mais Fanny Moser avait sans aucun doute déjà entendu parler, dans la maison de sa mère, de choses qui ne correspondaient pas du tout à une vision exclusivement scientifique du monde, explique encore Ina Schmied-Knittel dans un autre article (Zwischen Science und Séance, dans Heterodoxe Wissenschaft in der Moderne, 2021).
Adieu les méduses, bonjour les médiums, Fanny va se jeter dans les ombres: télépathie, rêves prémonitoires, messages des défunts, précognition, apparitions, autoscopies (un type d’hallucination par laquelle une personne croit se voir elle-même, très fréquentes avant la diffusion des médias télévisuels). Elle va enquêter durant dix ans, tentant de démêler les forfanteries de ce qui restera pour elle inexplicable. Il en résultera une somme de 1000 pages, publiée en 1935 (et dont les citations ponctuant cet article sont issues): Okkultismus. Täuschungen und Tatsachen (Occultisme, les mystifications et les faits).

Le bébé pèse 2,8 kg. Il est né en 1935. Ses parents, la parapsychologue Fanny Moser et l’éditeur munichois Ernst Reinhardt, sont ravis. L’enfant est en deux parties (de taille à peu près égale), et sa mère l’aura porté pendant près de vingt ans. Okkultismus. Täuschungen und Tatsachen est le maître livre de Fanny Moser: 1000 pages serrées sur les phénomènes paranormaux, le fruit d’une enquête qu’elle a décidé de mener en réaction au choc de cette fameuse nuit de 1914 durant laquelle, dans le salon d’une médium berlinoise, elle vit une table s’élever d’elle-même à plusieurs reprises dans les airs.
Tout y passe: les phénomènes d’alesthésie (exemple: on vous frappe sur la cuisse droite, mais vous ressentez la douleur sur la joue gauche); la xénoglossie, comprise comme le fait de subitement parler une langue étrangère qu’on est censé ne pas connaître (les possédés, mais aussi les apôtres, sont coutumiers du fait); la télesthésie (perception de phénomènes à distance, dans l’espace comme dans le temps); la précognition (des rêves prémonitoires aux prophéties); l’auto-lévitation; les fantômes au sens large, bien sûr; les Kriminalmediums (des médiums spécialisés dans les enquêtes policières), et ceux qui s’occupent de dresser des diagnostics médicaux (on appelle ça la xénoscopie); la promnésie (c’est-à-dire le déjà-vu).
Et, tiens donc, l’hystérie.
Réaliser cette enquête fut son sacerdoce. Après la mort de son mari, dont elle avait accompagné la longue agonie en Bohème, Fanny Moser retourne en Allemagne, à Munich, et consacre la majeure partie de son temps à l’élaboration du livre. Elle se plonge dans les œuvres des anciens et des pairs: Franz-Anton Mesmer (le fondateur de la théorie du magnétisme animal), le parapsychologue Frederic Myers, ou encore le sinistre Charles Richet, qu’elle connaissait bien, qui créa en 1919 l’Institut métapsychique international.
Elle épluche quantité de témoignages de faits étranges provenant du monde entier. Elle débusque les forfanteries les plus carabinées -et par exemple celles de l’illusionniste Jean-Eugène Robert-Houdin, histoire de faire une bonne fois pour toutes le départ entre les arts du spectacle et les opérations subtiles. Elle qui fut zoologue tente de ramener le plus grand nombre possible de ces bizarreries à des explications rationnelles.

Et pourtant … Quelque chose résiste. Certains phénomènes -et particulièrement dans le domaine des hantises au sens large (par exemple l’histoire de l’Esprit qui hante les étables de l’Emmenthal, au milieu des mugissements du bétail …) ne sont assignables selon Fanny Moser ni aux tromperies ni aux lois de la nature telles qu’on les connaît. A la toute fin de son livre elle avoue: Il existe un reste de véritables phénomènes occultes, et il faut qualifier ce reste d’absolument probant.
Il faut garder à l’esprit qu’au moment où elle écrit, l’occultisme et le spiritisme connaissent une remarquable popularité culturelle et scientifique, explique la chercheuse Ina Schmied-Knittel, qui a consacré plusieurs articles à Fanny Moser. A l’image de Camille Flammarion (1842-1925), on pouvait être astronome et en même temps membre éminent de la Société parisienne des études spirites. D’ailleurs les découvertes scientifiques elles-mêmes ont pu préparer le terrain: les ondes électromagnétiques, les rayons X, la télégraphie sans fil, le téléphone ou la radio ont pu être considérés comme autant de révélations de forces invisibles auparavant cachées.

H.P. Lovecraft, 1890-1937
L’occultiste peut révéler à l’ingénieur les problèmes de l’avenir; il peut transformer l’aveugle découvreur de technologie en inventeur éclairé. Mais c’est l’ingénieur qui peut offrir à l’occultiste une explication scientifique des facultés magiques de l’être humain (Carl du Prel, Die Magie als Naturwissenschaft, 1899). Autrement dit: ce qui nous apparaît aujourd’hui comme une forme de brouillard épistémologique pouvait être entrevu comme un terrain de pollinisation croisée.
On évoquait plus haut les maisons hantées, les poltergeists et les esprits frappeurs qui impressionnaient tant Fanny Moser. Elle leur consacrera en 1950 un autre livre, son dernier: Spuk. Irrglaube oder Wahrglaube? (La hantise. Fausse ou vraie croyance?), assorti d’une préface de C. G. Jung (on sait ce que pensait Freud, entre parenthèses, du fleuve de merde de l’occultisme).
Le 24 février 1953, elle décède à Zurich.