Les nègres n’ont rien d’analogue [à l’humanité blanche]. Ils continuent, même au milieu des Blancs, à vivre une existence végétative, sans rien produire que de l’acide carbonique et de l’urée … Lorsqu’il s’agira de la race jaune, et, à plus forte raison, de la race noire, pour conserver, et surtout pour augmenter notre puissance mentale, il faudra pratiquer non plus la sélection individuelle comme avec nos frères les blancs, mais la sélection spécifique … Après l’élimination des races inférieures, le premier pas dans la voie de la sélection, c’est l’élimination des anormaux.

Comment Charles Richet, dans le même temps où il faisait ses découvertes capitales sur le système immunitaire, qui lui vaudront le prix Nobel de médecine en 1913, a-t-il pu croire aux fantômes et penser faire science de leur étude?
Entre 1905 et 1907, un processus s’est enclenché qui a délégitimé certains objets et procédés de recherche par une mise à distance et une péjoration; la fin de ce processus peut être située au milieu des années trente. Cette délégitimation a principalement concerné le domaine des sciences psychiques, encore appelé le supranormal ou la métapsychique.
Ce moment révèle un flottement dans l’épistémè que caractérisaient deux signifiants majeurs de l’époque, l’inconnu et le possible. Au cours de sa marche, la science annexe au connu des domaines jusqu’alors inconnus et rien ne permet de dire que ce processus d’annexion est terminé: tout reste possible.
Ainsi des forces, autre signifiant majeur. Et s’il n’est plus question de forces surnaturelles -la laïcisation est à l’ordre du jour, qui partage l’État et l’Église- certaines forces naturelles ne pourraient-elles pas acquérir droit de cité pour rendre compte du merveilleux, et de ce que Richet a baptisé, en février 1905, la métapsychique.
Encore faudrait-il que les phénomènes allégués existent réellement, protestent les sceptiques. Pas d’a priori répondent les curieux: observons et authentifions, l’explication suivra. Ce que Richet fit toute sa vie avec passion.

Baranger illustre Lovecraft
Dans les critiques qui apparaissent au début des années vingt, la métapsychique commence à passer pour une probable fausse science aux prétentions déplacées et aux objets invérifiables. En ce sens, sa place dans la culture française de l’entre-deux-guerres fut toute différente de celle de la psychanalyse. Toutes deux furent critiquées et marginalisées, mais la métapsychique fut rejetée à hauteur de l’espoir qu’elle avait fait naître et de la fascination qu’elle avait exercée. La psychanalyse, alors, ne suscitait pas autant d’enthousiasme auprès du grand public dont elle restait à peu près inconnue, à la différence de la métapsychique dont les recherches et les mises en doute faisaient régulièrement la une des quotidiens nationaux.
Cependant, il reste à éclaircir les rapports des psychanalystes de la première génération avec la métapsychique. Des indices laissent penser qu’un rapprochement était possible, du moins tant que la métapsychique eut quelque crédit. Ainsi deux des premiers psychanalystes français, René Allendy et René Laforgue, envoyèrent en 1924 leur ouvrage La Psychanalyse des névroses, dédicacé, au directeur de l’Institut métapsychique international, le Dr Geley. Ils y affirmaient que la psychanalyse permettrait de rendre compte des phénomènes métapsychiques étudiés à l’Institut, comme la télépathie, la prémonition ou la médiumnité.
De son côté, le Dr Auguste Marie, un autre introducteur de la psychanalyse en France, connu pour son intérêt envers les productions artistiques des malades mentaux, écrit en 1928 qu’il y a une méta-psychiatrie, à savoir la psychanalyse, comme il y a une métapsychique, confirmée par son illustre maître le Pr. Richet.
Avec l’épisode de la villa Carmen, on peut suivre sur un temps assez long la mise en place de l’imputation de fausse science faite à la métapsychique. L’histoire a des aspects théâtraux qui plaident pour une mise en scène de l’illusion. Dans les critiques qui furent adressées à Richet, accusé de s’être laissé berner, le ton est souvent à la raillerie et à l’amusement. Ainsi dans le Mercure de France, l’écrivain Rémy de Gourmont persifle les amateurs de fantômes, tel Richet.

Le médium Marthe Béraud, qui officia avec Richet
–M. Demaison: Vous me rapportez le dossier Richet, merci. J’espère que vous vous êtes récréé à l’aventure de ce physicien.
-M. Delarue: Oui. J’espérais pourtant m’amuser davantage, c’est bien plat.
-M. Demaison: Sans doute, mais c’est la bassesse même de l’anecdote qui lui donne son intérêt par contraste avec la qualité du personnage. Il y a là-dedans plus de nourriture substantielle pour nos esprits que dans les plus doctes traités. Qu’un spirite de profession, qu’une tête faible, qu’un curieux étourdi se fasse duper par les charlatans de l’au-delà, cela n’a aucune importance. L’histoire prend une valeur singulière quand il s’agit d’un homme de science ou vénéré comme tel par une partie de la multitude.
-M. Delarue: Je n’ai pas été très surpris. J’avais déjà lu, il me semble, des pages de ce M. Richet qui m’avaient fait douter de son intelligence.
Depuis longtemps Richet cherche avec enthousiasme la preuve formelle, scientifique, inattaquable, répétable, cette preuve cruciale, experimentum crucis, que des facultés supérieures de l’intelligence et des possibilités extraordinaires de la physiologie existent.
À Alger, dans la villa Carmen, c’est cette preuve qu’il est venu chercher et qu’il a pensé remporter avec lui sur ses plaques photographiques.
Il a même failli la tenir dans sa main cette preuve vivante … Ayant authentifié la présence de Bien-Boâ, le fantôme le plus connu de la villa Carmen, Richet attendit pendant trois jours supplémentaires une sorte de rendez-vous personnel, offert in extremis, avec un jeune fantôme féminin du beau nom de Phygia. De cette rencontre restera une mèche de cheveux blonds qu’il gardera précieusement …

C’est Gravida qui vous appelle!
L’épisode de la villa Carmen a donc aussi été la mise en scène romantique d’un fantasme. Richet en fit les frais. Sa formation, ses convictions, ses croyances et probablement son histoire personnelle le prédisposaient à endosser le rôle du savant abusé. Or, par un curieux effet de miroir, Richet fut le double d’un autre personnage, mais de fiction celui-là, auquel est arrivé une aventure semblable et qui fut confronté à la même question séductrice: les fantômes existent-ils?
Ce personnage, un archéologue, est le héros d’une nouvelle de Wilhelm Jensen, Gradiva (celle qui s’avance), parue en 1903. Comme Richet, il mit sa science au service de son fantasme qui s’actualisait à travers un fantôme. Ainsi le héros, mettra, comme Charles Richet, sa main sur celle du fantôme pour en avoir le cœur net. Freud, on le sait, tint cette nouvelle pour un exemple clinique confirmant ses thèses.
Nombre d’interprétations de Freud pourraient être reprises au sujet de la villa Carmen, notamment son interprétation de la croyance aux fantômes et au spiritisme chez des personnes cultivées. Freud voyait dans cette croyance un délire hystérique, marqué par le retour du refoulé, déplacé sur le fantôme. On trouve ici une autre dimension du partage qui s’effectuait alors, celui contenu dans la différence lexicale entre fantasme et fantôme, et qui implique désormais de rapporter toute recherche métapsychique à l’inconscient refoulé et au partage en soi. La frontière se trouve déplacée.
Les contemporains de Richet ne virent aucun romantisme dans sa quête, mais plutôt le camouflage d’une gaudriole à propos de l’émotion d’un homme atteignant la soixantaine devant une jeune forme féminine.

Claude Monet, La Promenade
On aurait pu, on aurait du, suivre le grand Flournoy, pour qui Phygia avait des origines mentales et participait d’un roman subliminal. Mais, pour Richet, il ne s’agissait en rien d’une démarche romantique, bien qu’il fût lui-même auteur de romans traitant de passions obscures.
Richet n’a cessé, jusqu’au bout, de revendiquer sa position. Le 24 juin 1925, lors de sa dernière conférence à la faculté de médecine de Paris consacrée à la métapsychique, il mentionne les expériences faites à la villa Carmen et ironise sur les accusations de supercherie. Quoi! Lui et plusieurs personnalités éminentes auraient été bafoués par un cocher arabe, menteur et voleur! La médium n’aurait rien produit! Impossible!
Le cas Richet est symptomatique de ce moment très dangereux de l’histoire, où un positivisme fou proclamait à la fois la mort de Dieu et la possibilité d’explorer un au-delà matériel.