3 Ma princesse ! Ma prêtresse ! Mon double !

La controverse débute avec l’article de Richet dans Le Figaro. Elle fut lancée par le Dr Paul Valentin, un médecin spécialiste des névroses qui revendique sur l’affaire le regard de la psychopathologie. L’offensive contre le fantôme de Richet a en effet rapidement mobilisé une psychopathologie matérialiste et organiciste, se proclamant au service de l’hygiène mentale et sociale. Toute la psychiatrie de l’époque ne dénonçait-elle pas les ravages du spiritisme? Cette branche spécifique de la médecine mentale se sentait investie d’une sorte de mission qui correspondait exactement à son savoir. Elle demandait à être reconnue, l’épisode de la villa Carmen lui en fournit une occasion précieuse …

Richet ne s’est pas conduit en médecin, déplore Valentin. Il aurait dû examiner cliniquement Marthe Béraud qui, comme tous les médiums, est une névrosée. Car c’est elle la vraie coupable, coupable d’une mystification servie par sa névrose. Bien-Boâ n’est qu’un mannequin manipulé par Marthe ou l’un de ses complices, les photos sont évidentes à cet égard, affirme Valentin. Richet a raté l’occasion d’une prophylaxie scientifique des psycho-névroses. Il aurait dû aider Marthe Béraud à se soigner plutôt que la considérer comme un médium étonnant.

Dédoublement de Marguerite Beutingger, 1903

La psychologie positive, dont le Dr Valentin se veut un des représentants, se doit de lutter contre les fantaisies spectrales de l’hystérie partout où elle se manifeste. Et, aujourd’hui, la médecine nerveuse est suffisamment armée pour débusquer l’hystérie derrière les spirites et médiums qui intoxiquent le public, car il est bien établi, depuis Charcot, qu’il existe une étroite parenté entre médiumnité et hystérie. Or, comme l’hystérique, le médium peut cacher un mystificateur. Seul le spécialiste des psycho-névroses est outillé  pour étudier la mentalité des médiums et, sans cet examen, tout médium demeure un suspect, comme tout ce qu’il prétend produire!

Mais d’autres suggéraient plutôt une division entre les deux faces du personnage, la division pouvant mener facilement au rejet de l’une des deux faces. Sceptique sur les fantômes en général et sur celui de la villa Carmen en particulier, Flournoy demande toutefois que l’on ne fasse pas un procès d’intention au nom d’une nouvelle Inquisition positiviste. Non, la science n’a pas été compromise dans cette affaire, et l’étude des régions frontières est légitime. Mais il faudrait les ramener sur un terrain plus neutre, plus calme, loin des éléments passionnels.

Le fantôme de Marguerite Soubirous, anonyme, avant 1914, un montage artistique (et anticlérical!)

À Alger, tout le monde savait que des fantômes venaient régulièrement se montrer chez les Noël. Des personnalités étaient régulièrement invitées aux séances. Et l’on connaissait les dons de magnétiseuse de la générale qui avaient d’ailleurs conduit une de ses employées au service des maladies mentales de l’hôpital … Mais on s’en amusait plutôt.

Les choses auraient pu en rester là sans la venue du savant parisien, ses retentissantes affirmations et les discussions qui ont suivi dans la presse. C’est en effet après la publication des déclarations prudentes de Janet et Ribot que le Dr Hippolyte Rouby, directeur d’un asile d’aliénés à Alger, décida de mener sa propre enquête.

Nullement impressionné par les éminents psychologues qu’étaient alors Janet et Ribot, Rouby, qui semble assez proche des positions de l’école de la Salpêtrière, considère que Richet a été aveuglé par sa croyance et que tout ce qui s’est passé à la villa Carmen n’est qu’un échafaudage maladif qu’il faut détruire pour assainir l’opinion. C’est un positiviste militant, aux orientations socialistes, qui publia un Catéchisme moderne s’appuyant sur la Raison et sur la Science, opposé à toute religion révélée aussi bien qu’au spiritisme (ce qui n’était pas le cas de Jaurès).
Tel un détective, il chercha à établir le rôle frauduleux joué par Marthe Béraud dans la villa Carmen en interrogeant tous les protagonistes de l’affaire et en étudiant les articles et documents publiés dans les Annales des sciences psychiques, la revue de Gabriel Delanne.

Eva Carrière

Toute nue, comme il se doit, avec l’ectoplasme de Ferdinand de Bulgarie, 1913

Au total, il produira douze preuves, dont les aveux explicites de supercherie par les médiums, Marthe Béraud en particulier. Pour lui il est clair que les phénomènes produits, dont le fameux Bien-Boâ, l’ont été par des tours de passe-passe, notamment à l’aide de mannequins. La villa Carmen était une petite usine en fumisterie pour satisfaire la générale, conclut-il. Richet a apporté sa caution scientifique à ce qui n’aurait dû rester qu’un amusement.
À l’issue de son enquête, sa conviction établie, Rouby écrit à Richet pour lui faire part de ses conclusions et lui demander de se rétracter. On ne connaît pas la réponse de Richet, mais elle fut probablement cinglante.

Piqué au vif, sans doute déçu par l’attitude du grand professeur pour lequel subsistait une certaine vénération, Rouby décida de rendre publics ses documents et analyses. Il organise une conférence à l’Université populaire d’Alger, le 3 mars 1906, où il exhibe le cocher de la famille Noël, Areski, qui reproduit devant l’assemblée un Bien-Boâ de théâtre, comme il le faisait à la villa Carmen. La presse s’en fait largement l’écho et Richet riposte dans les Annales des sciences psychiques où il réfute point par point la démonstration de Rouby.
Puis ce fut la communication de Rouby au congrès de médecine de Lisbonne intitulée Bien-Boâ et Charles Richet. Rouby cherche à démontrer devant ses collègues médecins et, pour beaucoup, spécialistes de l’hystérie, que les faits décrits par le professeur Richet ne sont que des fourberies. Richet est traité sans égards. S’appuyant sur les dires des Noël et sur une lettre de la générale publiée dans une revue spirite italienne, Rouby fournit en outre des éclaircissements sur le mystérieux dialogue entre Bien-Boâ et lors de la séance du 1er septembre. Que se seraient-ils dit? Exactement ceci selon la générale:

Tu ne partiras pas, tu resteras sept jours et tu verras celle que tu désires.

Le jour où vous pourrez tirer de tout cela quelques vues systématiques, il faudra renoncer sans doute à bien des idées reçues sur les rapports de la pensée avec le système nerveux; mais je ne vois aucune raison pour nier a priori des phénomènes de ce genre.

Henri Bergson, 1887

Richet attendit. Le lendemain, il aurait vu la matérialisation d’une jeune fille de vingt ans se dénommant Phygia, double réincarné d’une princesse égyptienne, prêtresse du temple d’Héliopolis qui, toujours selon les propos de la générale rapportés par Rouby, était, il y a trois mille ans, le double astral de Richet. Richet lui aurait baisé la main et aurait coupé une mèche de ses cheveux qu’il aurait précieusement gardée. Il l’aurait aussi invitée à dîner au Palace Hôtel, en compagnie de Marthe Béraud.

Elle n’est jamais venue.

A suivre …

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