Aristote : l’âme est en quelque façon toutes choses.

Qu’est-ce qu’un sujet? La question ne peut être posée. Un sujet, précisément, n’est pas quelque chose. Il n’est pas quelque chose et il n’est pas, si du moins on donne à être la valeur d’une forme d’ontologie substantielle. Le sujet n’est pas comme une chose est; il n’est pas non plus comme un être est, car son unité ne peut être comptée du dehors de son affirmation ou de son acte de sujet.
S’il est, il est selon la valeur d’un verbe être entendu non comme copule d’attribution mais dans la pleine force verbale d’un acte. Il est doit alors s’entendre à la manière d’un verbe d’action (y a-t-il d’ailleurs, en général, des verbes qui soient d’état et non d’action? On peut en douter). Il doit s’entendre de plain-pied avec il marche, il peine, il parle, il pense.

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Mais quelle est cette action d’être? C’est l’action de sortir du néant. C’est l’irruption, le jaillissement, la levée ou le bond de l’impossible sans qu’aucun possible ait précédé, aucun plan, aucune intention, aucun choix ni aucune nécessité.
Pour cette raison, il est ne peut pas rigoureusement se dire. Seul je suis peut convenir. Il est présuppose un locuteur et pose un constat. Tout doit être déjà donné, l’énonciateur et le contenu de l’énoncé. Mais je suis n’énonce rien de donné avant l’énonciation. Je suis énonce le don de soi -don à soi-même et au monde. Ce don n’est pas un acte de générosité, il est le il est ou bien le il y a dépourvu de tout préalable.
En ce sens, je suis n’est pas exclusivement ni d’abord l’apanage du sujet parlant (pensant). Il faut plutôt dire qu’il se prononce silencieusement en toute existence singulière (il n’y a d’exister que singulier, c’est-à-dire un par un) et que le sujet parlant ne vient au monde que comme la reprise et l’expansion de cette affirmation tacite venant à se proférer comme sens -c’est-à-dire comme envoi ou renvoi (à soi-même, à d’autres, à l’autre en soi, à soi en l’autre).
Je témoigne de mon être, ou mon être est un être qui témoigne d’être et par conséquent témoigne de l’Être en général: par moi tous les étants attestent ou sont attestés en tant qu’ils partagent l’être.

La parole je suis -c’est-à-dire la parole, absolument, car il n’est pas de parole sans je et pas de je sans suis– cette parole ne dit mon être qu’en disant l’être de tout étant, disant ainsi en outre que l’être n’est autre que son propre dire, à savoir son sens et non sa simple position.

Sens veut dire: que l’être n’est pas une chose, mais une attestation, une profération portant témoignage de ceci, que le monde est là.

Jean-Luc Nancy

Henri Matisse