Viens, c’est l’aurore! Le coq a chanté, le cheval a henni, la voile est prête!
Non! Le coq n’a pas chanté! J’entends le grillon dans les sables et je vois la lune qui reste en place.
La gnose devait bien recruter pour assurer son rayonnement. Doctrine sophistiquée, elle eut du succès principalement dans les milieux cultivés, attirant dans ses rangs tant des païens que des juifs et des chrétiens. Les textes conservés montrent les diverses origines culturelles de ses maîtres à penser. Certains d’entre eux étaient nourris de spéculations philosophiques à la mode, notamment celles des moyen-platoniciens et des néoplatoniciens, héritiers et interprètes de la pensée de Platon. Quelques gnostiques avaient fréquenté l’école du philosophe Plotin, d’autres étaient très proches des spéculations du judaïsme mystique et ésotérique, où l’invocation du nom de Dieu se déclinait à travers celle de ses anges. D’autres encore, nés chrétiens, revisitaient le personnage du Christ pour en faire une entité détachée du monde et lui attribuaient un message secret, connu par la seule tradition gnostique. Ils se disaient les seuls vrais chrétiens, opposés aux membres de l’Église.

La pensée des hérésiarques était diffusée par eux-mêmes ou par leurs disciples sur les routes de l’Empire et ses principales villes. Les œuvres polémiques des Pères ont conservé les noms des grands penseurs de la gnose et, plus rarement, ceux de leurs propagateurs.
Quelques femmes ont franchi la barrière de l’oubli: de la belle vierge inspirée Philoumène, muse du maître Apellès, à l’entreprenante caïnite de Carthage qui excéda Tertullien par son enseignement sur le baptême. D’autres femmes ont fait partie du rang des adeptes: les riches Romaines à la robe frangée de pourpre, séduites par les propos symboliques de Marc le Mage; la femme anonyme, qui vécut avec lui une expérience d’union mystique aboutissant au don de prophétie (selon Irénée); la noble Flora, destinataire d’une lettre doctrinale de Ptolémée (selon Épiphane). À ces femmes fortunées, s’ajoutent ici et là des femmes d’une classe plus humble, comme l’épouse d’un diacre chrétien qui suivit Marc le Mage dans ses pérégrinations en Gaule Chevelue.
Pendant des siècles, les œuvres des Pères de l’Église ont constitué la source d’information la plus complète sur la gnose et ses adeptes. Les réfutations qu’ils écrivirent contiennent des extraits de textes gnostiques et des résumés des différentes doctrines. On compte surtout parmi les grands controversistes, l’immense Irénée de Lyon (Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur, écrite entre 180 et 185) …

Ἔλεγχος καὶ ἀνατροπὴ τῆς ψευδωνύμου γνώσεως
… Et aussi le Pseudo-Hippolyte de Rome (Réfutation de toutes les hérésies, début du IIéme siècle), et Épiphane de Salamine (Panarion, du grec la boîte à remèdes, vers la fin du IVéme siècle). D’autres écrivains chrétiens se sont engagés contre la gnose: Tertullien, Clément, Origène. Mentionnons aussi, en milieu païen, le philosophe Plotin et son élève Porphyre: dans l’école romaine de Plotin, il y avait des gnostiques, dont les théories furent jugées inacceptables.
À partir de la fin du XVéme siècle, on découvrit des textes composés par les gnostiques eux-mêmes. Ils sont tous écrits en copte, langue parlée en Égypte à l’époque chrétienne. Un codex sur parchemin provenant d’Égypte, fut acheté vers 1750 par A. Askew, un médecin féru d’antiquités. Il est conservé au British Museum. En 1773, un voyageur écossais, J. Bruce, acquit, près de Thèbes en Haute-Égypte, un codex en papyrus de 156 pages, contenant deux traités gnostiques: c’est le manuscrit d’Oxford (ou codex Bruce); il date de la même époque que l’Askewianus. Le codex de Berlin est également de provenance égyptienne. Découvert au début du XXéme siècle, il contient quatre traités.

Cette découverte sensationnelle a rénové en profondeur la recherche sur la gnose. Les codices, confectionnés au milieu du IVéme siècle, pouvaient appartenir à une communauté gnostique implantée sur les rives du Nil. Les textes conservés sont des traductions coptes d’écrits à l’origine composés en grec et désormais perdus, qui remontent aux IIéme et IIIéme siècles, période des grandes controverses de l’Église contre les gnostiques. Des évangiles, des apocalypses, des lettres et des homélies -genres littéraires alors à la mode- ainsi que des traités philosophiques et des exposés mythologiques constituent la riche palette de ce corpus.
En 1945, on dégagea, en Haute-Égypte, à Nag Hammadi, une entière bibliothèque gnostique. Treize codices en papyrus, pour un ensemble de 53 traités gnostiques, étaient enfouis dans une jarre, retrouvée dans une grotte du massif du Djebel El Tarif, surplombant le Nil.
Jacqueline Scopello
La bibliothèque de Nag Hammadi
La Gnose est-elle actuelle? Bien sûr, encore et toujours, d’une mauvaise éternité, puisqu’elle prétend nous faire sortir de l’espace et du temps. Contresens diabolique (Vous serez comme des Dieux!): l’espace et le temps ne sont pas des prisons, mais le seuil nécessaire de l’Être. Emmanuel Kant a clarifié, ou laïcisé, ce qu’on a toujours su: la dissémination indéfinie de la poussière des multivers n’est pas un obstacle à l’incarnation du singulier, mais sa condition.

1989, Turquie. Une équipe archéologique découvre un étrange artefact, comme une masse de verre, mais terriblement radioactive au contact: ceux qui ont eu le malheur d’y toucher meurent rapidement. Mais il il suffit de s’en éloigner de quelques mètres pour être totalement épargné. L’objet est transféré aux États-Unis, dans un laboratoire installé à Two Rivers, une petite ville ordinaire implantée au milieu de vastes forêts et d’une ancienne réserve indienne.
Des années plus tard, une explosion a lieu au sein de ce laboratoire. Les pompiers rendus sur place ne peuvent y pénétrer, et certains se retrouvent à avoir des visions mystiques, surgissant des flammes. Plus tard, on se rend compte que toute la ville s’est retrouvée projetée sur une autre Terre, où la colonisation des Amériques n’est pas encore achevée: seule la côte Est est habitée par des populations d’origine européenne dont la religion est le gnosticisme valentinien, qui a pris le pas sur le christianisme orthodoxe et le paganisme romain -lesquels cependant continuent à exister marginalement.
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