La Marne

Quand je ne couchais pas chez Marthe, c’est-à-dire presque tous les jours, nous nous promenions après dîner, le long de la Marne, jusqu’à onze heures. Je détachais le canot de mon père. Marthe ramait; moi, étendu, j’appuyais ma tête sur ses genoux. Je la gênais. Soudain, un coup de rame me cognant, me rappelait que cette promenade ne durerait pas toute la vie …

Dans le canot, je me précipitais sur elle, la jonchant de baisers, pour qu’elle lâchât ses rames, et que le canot dérivât, prisonnier des herbes, des nénuphars blancs et jaunes … Puis, nous amarrions le canot derrière les hautes touffes. La crainte d’être visibles ou de chavirer, me rendait nos ébats mille fois plus voluptueux …

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J’aimais tant cette rive gauche de la Marne, que je fréquentais l’autre, si différente, afin de pouvoir contempler celle que j’aimais. La rive droite est moins molle, consacrée aux maraîchers, aux cultivateurs, alors que la mienne l’est aux oisifs. Nous attachions le canot à un arbre et allions nous étendre au milieu du blé …

Raymond Radiguet, Le diable au corps, un beau livre paru en 1923. L’héroïne est la Marne. Première bataille de la Marne: Septembre 1914, seconde bataille de la Marne: Juillet 1918.

Paul-Emile Bécat, illustration d’une édition de bibliophile hors commerce, 1959