La dénonciation des illusions est le retour, à travers des abstractions nécessaires, à un rapport originaire …

En mettant la Terre en mouvement, Copernic nous a transmis le secret de la fabrication du miroir.

Je sais que je suis l’effet de mes propres productions, que l’en-soi dans lequel je me voyais était en fait celui que je parvenais à construire …
Le premier paradoxe qui saisit celui qui veut faire ne serait-ce que la chronique de l’évènement que constitue la révolution copernicienne provient de l’extraordinaire contraste entre une transformation qui se trouve être de nature strictement technique, de surcroît historiquement très marquée, et les effets qui s’en sont suivis.

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A première vue, il est étonnant que la transformation astronomique ou cosmologique de Copernic puisse être à l’origine d’une mise en forme de la raison, et qu’elle puisse se nommer même révolution. Il est encore plus étonnant qu’elle puisse être défendue comme structurellement inauguratrice, qu’elle soit conçue comme une sorte de commencement indéfiniment recommencé et qu’elle ne se voit vraiment explicitée qu’au XVIIéme siècle, siècle du classicisme. Qu’un événement révolutionnaire produise du classicisme, voilà qui n’est plus pour nous étonner; mais que l’on ne cesse de vouloir recommencer cet événement, que l’on puisse le considérer comme une expression caractéristique de l’époque moderne, malgré le classicisme qu’il aurait symbolisé, voilà qui pourrait nous étonner davantage. La révolution copernicienne serait-elle l’événement qui nous oblige à considérer le classicisme sous un autre aspect? La révolution copernicienne se présente immédiatement sous deux aspects: une transformation qui permet la mise en place des formes essentielles de la raison, une remise en cause de ces formes sur ses propres bases. Il est vrai qu’il appartient à l’essence de la raison d’être critique, mais la remise en cause de la raison va plus loin que la critique, elle porte atteinte aux formes de cette critique.

La révolution copernicienne est donc à la fois une mise en place et une remise en cause de la raison; d’où une question: quel type de mise en place s’est-il effectué qui soit en même temps remise en cause de celle-ci? Nous allons montrer que la singularité absolue de l’événement copernicien tient précisément à la forme d’interrogation qu’il a fait porter sur la façon dont la raison s’est constituée, à la reprise qu’il a obligé les philosophes à effectuer des conditions mêmes de leur forme de pensée. C’est cette ouverture à une interrogation dépassant toutes les figures pensables des réponses et de leur système qui fait la force de cet événement.

Nous savons tous que la rationalité s’est développée sur la base de la constitution d’un espace pour la pensée qui permette à l’individu de se réfléchir. L’organisation comme mode de situation est la forme de pensée essentielle. C’est dans la construction d’un espace comme espace juridique, politique et cosmologique que la pensée a pu se déployer comme raison. Aristote nous a essentiellement appris que la raison est une topique. Que cette topique soit rationalité tient à ce qu’elle nous fait penser l’individu comme l’effet de sa place -rien d’extérieur au système de ces places n’est pensable, puisqu’il est l’ultime condition de la pensée des places qu’il conditionne. La raison se doit d’être pour exister, au spectacle de soi-même, mais elle est constitutionnellement spectacle de soi.
Ceci vaut non seulement pour l’idéalité mathématique grecque, mais aussi indissociablement pour son mode de construction. La forme dominante qui organise le miroir de la pensée comme topique dans les choses mêmes s’exprime dans la figure du cercle et par la révolution -entendu au sens de rotation- qui lui permet d’engendrer la sphère comme figure de la raison sous la forme de tous les aspects que j’ai rappelés. La phénoménalité est et doit être sphérique, et c’est parce qu’elle est sphérique que je puis la réfléchir, ou aussi bien la redoubler, ou la répéter. Enfermée mais aussi libérée par la sphère, située mais aussi incessamment déstabilisée par cette sphère, la raison grecque produit les mathématiques et la politique comme notre raison dans cette spécularité, imaginaire et pourtant symbolique.

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Toutes les grandes réflexions sur la raison grecque ont noté, sans jamais la réduire, cet étrange mixte de formalisme qualitatif et d’intuitif quantitatif, mais aussi de puissance explicative, et en même temps de normativité indissociable, qui rend cette raison si attachante pour nous. On y trouve de manière essentielle toutes les formes du retour en soi, non pas seulement sous l’espèce d’une nostalgie inutile et émouvante de l’origine, mais encore comme érigées en manière de pensée. On y apprend que la répétition est productive, l’imaginaire symbolique, que de la sorte le mouvement peut être éternité, que le cercle peut être méditation, et la limite construction.

Que la raison soit sphérique nous indique également qu’elle ne peut que produire des formes de totalisation. Le tout n’a pu être réfléchi que sous la forme de la sphère, mais -et c’est aussi pourquoi la raison mathématique s’est développée -elle n’a pu le faire que parce que le tout lui même ou la sphère se sont instrumentalisés. Le cercle expression particularisée du tout cosmique est aussi un instrument mathématique.
Et reproduisant le cercle, l’individu ne cesse de se ressaisir de cette forme de soi-même qu’il avait déposée dans le Ciel. On peut donc dire que la raison est le développement de la topique à travers laquelle elle se précède elle-même, et dont elle est l’effet. La géométrie et la cosmologie sont la reproduction d’une topique fondamentale par quoi la raison est situation. La raison grecque (précopernicienne) est donc essentiellement l’usage développé que la pensée fait de sa propre situation.
Le cercle et son centre ne cessent ainsi de reproduire les formes de la pensée comme effet en miroir de ses propres conditions de production. Ils conditionnent aussi toutes les orientations sans lesquelles la topique comme pensée cesserait d’exister. Ils expliquent comment le mouvement peut se faire saisir comme repos, et donc comment le mouvement de pensée comme discursivité trouve dans la stabilité circulaire ses conditions d’exercice.

La révolution copernicienne n’est événement que parce qu’elle réinterroge cette forme ultime de rationalité qu’est son existence comme topique. A la surface du rien ou du néant, Copernic peut être considéré comme celui qui a osé passer de l’autre côté de la topique. Mettant en mouvement la Terre, il mit en mouvement l’observateur, cela tout le monde le sait. Mais il l’a ainsi obligé à sortir de la position de centre du cercle qu’elle occupait. Il a rompu la continuité instaurée entre la sphère du monde comme image du tout et de la pensée méditative et les formes plus positives et plus directement perceptibles que constituent les idéalités mathématiques. Il a fait vaciller le redoublement spéculaire par quoi la topique, comme système de situations, avait permis à la raison de se développer. Faut-il dire après lui qu’il y a encore quelque chose derrière nous-mêmes par quoi nous existons? Il a ainsi instauré un bougé dans la stabilité du miroir par laquelle notre raison continuait d’être.

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 Nous sommes certains que la Terre, entre ses pôles, est limitée par une surface sphérique. Pourquoi donc hésiterions-nous plus longtemps à lui attribuer une mobilité s’accordant par sa nature avec sa forme, plutôt que d’ébranler le monde entier, dont on ignore et ne peut connaître les limites? Et n’admettrions-nous pas que la réalité de cette révolution quotidienne appartient à la Terre, et son apparence seulement au ciel! En effet lorsqu’un navire flotte sans secousses, les navigateurs voient se mouvoir, à l’image de son mouvement, les choses qui lui sont extérieures et inversement, ils se croient être en repos, avec tout ce qui est avec eux. Or, en ce qui concerne le mouvement de la Terre, il se peut que c’est de façon pareille que l’on croit le monde entier se mouvoir autour d’elle (De Revolutionibus 1,8).

Nous ne sommes plus alors l’effet de notre place dans le système des choses puisque ce système c’est nous-mêmes qui l’instaurons. Nous serions à la rigueur comme un effet d’effet, le premier effet ayant été causé par notre propre production.
En mettant la Terre en mouvement, Copernic nous a transmis le secret de la fabrication du miroir. Je sais que je suis l’effet de mes propres productions, que l’en-soi dans lequel je me voyais était en fait celui que je parvenais à construire. Non seulement Copernic nous a prévenus que nous produisions le miroir dans lequel nous nous voyons nous-mêmes, mais il nous a aussi donné les moyens par lesquels nous pouvons expliciter cette situation.

Pour que nous puissions dire que nous produisons notre place, il a fallu énoncer qu’elle n’était essentiellement pas fixe, ni fixée. Copernic a universalisé au cosmos entier une proposition qui nous explique que notre mouvement réel se reflète dans la perception du mouvement de notre repère et corrélativement dans celle de notre repos et de notre fixité. Mais cette explication n’est à son tour possible que si nous avons pu un instant penser la substituabilité de l’observateur et de l’observé, du repère et du mobile, du mouvement et du repos. Un principe de relativité élémentaire, dont le corrélat est un scepticisme, a été introduit dans la topique: je ne peux pas savoir où je suis, et donc ce n’est pas un système de places qui me constitue, mais j’ai moi-même constitué le système des places qui me constitue, telle est l’idée copernicienne.
Mais comment avons-nous pu passer un instant de l’autre côté du miroir? Cela ne peut se faire dans une construction représentée: je ne peux me représenter de manière efficace comme étant en mouvement par rapport à mon propre repère; et cependant ce n’est que depuis l’intérieur de ma situation que je puis parvenir à saisir que j’en suis l’auteur. En régressant en deçà des décisions originaires, sans me placer en un point qui de toute façon les reproduirait, le principe de relativité descriptive permet d’occuper cette place qui peut dénoncer l’hypostase des origines. Je puis par son intermédiaire, neutraliser perception et savoir, et produire par là même une nouvelle forme de savoir.

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On peut caractériser cette nouvelle forme de savoir par la reprise des conditions de sa production qui s’y manifeste. Ou encore par la production comme condition générale de la science de la réflexion sur ses propres conditions de production. Et c’est parce qu’il a conçu ces conditions dans leur fonction topique que Copernic a permis une réintroduction dans les développements de la science d’une réflexion sur elles.

Le principe de relativité (descriptive) est un principe qui permet d’introduire dans les sciences, à titre de condition d’exercice, la réflexion sur soi. Réfléchi à son tour, il peut s’investir dans la science physique classique au titre des différents principes de conservation (le principe d’inertie est un cas de conservation), l’observateur trouve alors une forme de stabilité dans l’impossibilité de déterminer ou de fixer un repère qui est aussi bien possibilité maximale d’en trouver un.
Conçu de façon latérale il peut encore se focaliser sur des formes de conscience de soi, conçues comme hors du monde ou du cosmos. La physique classique a vu le développement corrélatif, investi dans des systèmes philosophiques, de position d’observateurs hors du monde.
Si la raison classique a pu se construire dans la mesure où le copernicisme introduisait dans les actes de celles-ci une forme de conscience de soi, en la rendant responsable de ses actes, en lui faisant voir qu’elle produisait des formes d’espace dans lesquelles auparavant elle avait trouvé des garanties externes de son exercice, doit-on dire alors qu’elle n’a pourtant pas pensé sous sa puissance maximale le principe copernicien qui lui a permis de se développer?

Si en conscience de son pouvoir elle s’est trouvée mise en position d’exercer une liberté théorique, n’a-t-elle pas limité les exercices de ce pouvoir en freinant l’exploitation qu’elle pouvait faire du principe de Copernic? Si elle peut se voir productrice, n’a-t-elle pas reproduit, dans les formes de cette production, l’hypostase de la topique dont elle avait cru se défaire? Mais, par ailleurs, quelle signification l’introduction de la sphère dans la raison peut-elle avoir?

D’un côté le constat de l’absence de miroir en soi peut avoir privé la raison -comme si elle prit peur, à la surface du néant- de sa propre liberté, de certaines formes d’exercice.

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D’un autre côté, il se pourrait qu’elle ait dans les limites de son exercice reproduit les redoublements spéculaires qu’elle avait cru trouver dans le monde.
D’où la question que me paraît poser la révolution copernicienne aujourd’hui: peut-elle se poursuivre et être portée jusque-là même d’où elle provient? Peut-on trouver un poste d’observation théorique pour observer les prises de décision, effets de la liberté en possession de laquelle la révolution copernicienne nous a mis? Peut-on poursuivre la révolution copernicienne, comme révolution dans la révolution copernicienne? Y a-t-il une relativité de la relativité, un scepticisme du scepticisme, un miroir qui nous permettrait de discerner une spécularité dans la théorie du spéculaire?

Il est facile de faire quelques constats: dans certaines limites, la tentative pour passer au-delà de la raison copernicienne de premier rang s’est traduite par une remise en scène des formes de raison dont la révolution copernicienne avait voulu nous déprendre. Nous avons tous constaté une sorte d’essai de réconciliation de la raison et de ses dehors, par-delà la séparation constatée dont Copernic a été l’initiateur: le nihilisme a franchi une étape décisive avec Copernic, avait expliqué Heidegger.

Comme une très lointaine et certainement très insatisfaisante réponse, la cosmologie contemporaine se fonde sur une tentative pour prendre la réconciliation entre les formes d’humanité et l’Univers comme base de sa réflexion. L’introduction d’une forme de temporalité dans le Cosmos lui-même peut apparaître comme une réintroduction sous forme fonctionnelle des modes de projection imaginaire que permettait de dénoncer le copernicisme. On sait combien la sphère hante les modèles d’Univers contemporains.

S’ensuit-il alors que pour aller au-delà du copernicisme, ou le continuer, il faille de nouveau penser le sujet cette fois comme un effet de sa propre place, même s’il en est le producteur; l’acte de production lui-même, par-delà les effets qu’il produit, ne peut-il que revenir, même s’il construit un écart entre lui et ses actes, à son miroir originaire?
Copernic nous aurait alors fait comprendre -si nous le comprenons à notre tour- que la reprise en soi, le retour en soi de la pensée un instant projetée sur le monde extérieur ne peut que donner lieu à de nouvelles productions d’extériorité. Qu’il est donc impossible de cesser d’être au spectacle de soi et que la scène de ce spectacle ne peut être construite que sous la forme de la donation d’un monde extérieur.
Les interprétations de Freud ou celles d’un Marx anti-hégélien, nous avaient appris à pousser plus loin le geste copernicien; pensé en termes de décentrement, il suffisait -et c’était énorme- de transposer: nous ne sommes pas au centre du monde, mais nous ne sommes pas non plus au centre de nous-mêmes.

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Et une entreprise patiente et profonde avait débuté, qui tentait de construire diverses thématiques de la dispersion, du pluralisme et de la différence. Puisque nous ne sommes pas au centre de nous-mêmes, il semble que nous ne puissions nous produire que comme dispersés.

La plupart des questions que nous nous posions alors avaient trait -au-delà de celles qui ne faisaient que redoubler de façon extrêmement formelle le pluralisme- à la recherche de processus divers, ou encore à une pratique de l’exclusion du centre ou de ce que l’on pouvait prendre pour ses figures associées: la finalité, la téléologie ou la conscience.
De la même façon, on opposait à une philosophie du négatif, qui était conçue comme une répétition artificielle de la circularité de la conscience -le négatif étant vu comme un instrument de reprise de soi- une philosophie de la pure positivité, dont la double origine se trouve dans Descartes et dans Spinoza, qui défendent tous deux la thèse selon laquelle le néant n’a pas de propriétés.
Mais surtout, une ouverture sur soi se faisait jour exactement comme celle que la thèse du mouvement de la Terre avait laissée. Tout comme Copernic nous avait appris que les constructions du monde que nous croyions atteindre étaient notre propre fait, on pouvait croire que les formes de la rationalité que nous avions mises en œuvre et que nous croyions elles aussi retrouver ou ressaisir étaient aussi notre propre production. Et c’est pourquoi nous pouvions penser -à la suite d’Alexandre Koyré- que c’était à travers les constructeurs de l’Age classique, et notamment les philosophes, que nous devions repenser les grandes nouveautés de notre temps, en les faisant en quelque sorte réagir sur eux-mêmes.

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Il semble que les sciences -ou les formes qu’elles ont prises- en se développant aient produit une réaction au copernicisme, particulièrement élaborée dans les philosophies qui se sont voulues en même temps analystes et critiques de la science classique et contemporaine. Ce que Copernic commence, dit Husserl, c’est précisément l’oubli de soi. Comme si à vouloir réfléchir sur nous dans les termes d’une mise à distance nous nous étions à jamais égarés, comme si la formation symbolique des philosophies du sujet n’avait été qu’un substitut destiné à nous illusionner sur nous-mêmes, illusion d’autant plus prégnante que, comme le mouvement de la Terre, elle prend la forme de son contraire.

Or il me semble que l’on peut comprendre la révolution copernicienne comme une autre façon de pratiquer les sciences: introduction du point de vue de l’agent même dans la production scientifique et comme une autre façon de chercher à retrouver les origines, non plus de façon répétitive ou spéculaire, mais comme élément de production dans le travail scientifique.
Il ne s’agit donc pas de produire une science comme travaillant à des productions d’objectivité excluant la subjectivité sur laquelle elles pourraient alors avoir une prise (réductionnisme), ou impliquant un refuge de celle-ci dans l’inaccessible (mysticisme); mais de tenter, dans les sciences mêmes, de ressaisir les formes du sujet qui y sont à l’œuvre et par là même, de montrer que l’oubli de soi où l’on avait voulu le confiner peut être aussi ressouvenir.

Si l’on se place sur le terrain cosmologique, il apparaît en toute clarté que Spinoza considère le cosmos grec comme une forme de la finalité: introduction d’un ordre dans le monde, fondement de nos illusions (Appendice du livre I de l’Éthique).

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Et il est non moins clair que Copernic met la Terre en mouvement pour introduire un ordre véritable dans le monde. L’ancien ordre, dont nous étions les auteurs illusionnés, n’est pas le bon ordre, mais nous devons en produire un véritable, qui correspond, lui, à celui des systèmes planétaires, avec le projet de démontrer quel est le véritable centre de l’Univers, et quelle véritable place nous occupons. En ce sens rien de moins copernicien que le spinozisme.
Et même si l’on met l’accent comme le font souvent les analyses de la cosmologie mécaniste sur le caractère homogène de l’Univers, il n’est pas certain que cette thèse d’un univers homogène implique celle de l’absence d’un ordre finalisé dans le cosmos. Il est des façons de concevoir l’homogène comme condition d’une pensée installée dans l’Univers .
Je voudrais pourtant montrer que le spinozisme peut fournir les moyens de penser un concept moderne de révolution copernicienne.

On sait que la structure la plus remarquable de l’Éthique est celle qui permet la réunion d’une infinité d’attributs au sein d’une substance unique. L’histoire de la philosophie nous a transmis l’image de cette structure à travers celle du parallélisme des attributs. On sait que la géométrie projective nous permet de définir des droites parallèles comme droites qui se rencontrent en un point à l’infini. De plus, une droite à laquelle on ajoute un point à l’infini qui permet d’en avoir une complète maîtrise est précisément travaillée en géométrie comme un cercle, résultat ce travail conceptuel sur la droite et l’infini. Je propose de concevoir l’Éthique comme instauration de cette structure circulaire très particulière dans la pensée. Elle devient alors, en plusieurs dimensions, une sphère, ensemble de droites auxquelles on a ajouté les droites correspondant aux points de l’infini. Cette structure rapproche le concept spinoziste de parallélisme de la conception arguésienne de l’espace et de celle de Pascal.
Le point le plus général qui organise cet espace est le point à l’infini qui introduit ainsi une structure de concevabilité de la nature que Spinoza appelle la substance. Celle-ci concentre elle aussi l’unité de plusieurs et même d’une infinité de dimensions. Cette place, si tant est qu’une situation dans l’infini soit pensable, est occupée par Dieu comme ensemble de tous les attributs, qui comme les droites de l’infini ne saurait surplomber de façon transcendante l’espace ainsi organisé. Les surfaces que l’on peut concevoir sont tout entières intrinsèquement structurées.

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Spinoza a essayé de concevoir une structure de pensée avant celle qui produit les formes reconnues et reconnaissables de pensée: conscience et conscience de soi. Il s’est placé à la fois en deçà de toute forme de réflexivité, faisant même de cette dernière une propriété qui n’est pas nécessairement celle de la conscience, et en un lieu à partir duquel voir ou concevoir la réflexivité.

Spinoza s’est efforcé de construire des ordres d’infini, et donc des niveaux de commensurabilité entre les modes ou manières d’être des formes sous lesquelles nous pouvons concevoir la constitution de ce qu’il appelle la substance. Mais comme il pose une identité de structure productrice entre la construction des figures et la structure de celles-ci d’un côté, et l’esquisse des gestes de cette construction de l’autre côté, il produit des lieux de visibilité de la construction mathématique mais aussi de la réflexion de cette construction.

C’est donc au travers de la construction géométrique que Spinoza ré-élabore la thèse copernicienne. C’est la thèse de l’immanence pratiquée comme telle qui lui permet d’atteindre cette vision de l’extérieur par laquelle je caractérise le geste copernicien. Copernic nous faisait voir notre illusion en posant l’équivalence mouvement-repos, rive-bateau, comme caractéristique de la perception du mouvement, installant depuis le rapport interne Terre-étoiles une vision externe de ce rapport. Spinoza pratique la construction de l’immanence comme seule prise sur ce que l’on comprend alors comme les effets de cette construction. Ce que Copernic osa pratiquer sur le plan de la cinématique du mouvement, Spinoza le pratique jusque dans le mouvement même des actes de pensée. D’une part, il réélabore dans le mode infini immédiat qu’est le mouvement-repos les conditions de la naissance de la géométrie, d’autre part il fait déboucher cette géométrie sur une nouvelle manière de totaliser qui reprend les articulations de cette construction première. Mais cette pratique spinoziste a elle-même été développée parce que Copernic l’avait généralisée à l’Univers et que la cosmologie avait pu être conçue comme un instrument, ou encore parce que le Tout a pu être construit comme un concept permettant une analyse des constructions de pensée elles-mêmes.

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L’Exode? Un retour au Pays

Spinoza, dans la tradition cosmologique, est parti d’une analyse du Tout dont il établi la structure. C’est un Tout qu’il a dépouillé de sa structure d’ordre qui lui sert de point de départ. Mais l’ordre dont il était porteur, plutôt que défait, a été retravaillé.
C’est bien aussi à partir du tout que je puis me voir. Non plus parce que je dois reprendre mes propres reflets comme effet de la place que j’occupe sans le savoir, mais sur la base d’une identité des formes de production entre mes élaborations géométriques et toute forme de production.

Comme Copernic, Spinoza nous fait comprendre que l’organisation que je crois voir dans le monde est en réalité une élaboration que je fais sous l’effet de la place que j’y occupe. D’où, comme dans le cartésianisme, la nécessité de reprendre l’analyse à partir de soi, comme reprise en soi des actes de production dans l’extériorité. Mais allant encore plus loin, il développe l’analyse copernicienne, la faisant porter sur le rapport que j’entretiens à moi-même. Il réinstalle ainsi dans le rapport à ses propres productions de pensée la dénonciation de l’illusion d’une production. Non seulement je dois comprendre l’image inversée de ma propre place et de mon propre mouvement dans la vision que j’ai du monde extérieur, mais il me faut encore reconstruire les mécanismes de l’illusion jusque dans mon propre rapport à moi-même, dans le concept que je construis de la réflexivité.

Il est remarquable que l’on puisse reprendre comme une forme étendue de l’analyse de Copernic l’analyse spinoziste de l’illusion selon laquelle le Soleil serait distant de deux cents pas. Cette idée est vraie en Dieu. Nous l’appréhendons de manière mutilée et confuse. Elle est pourtant en un sens adéquate: elle exprime la disposition de notre corps à former du soleil une perception déformante. L’idée est vraie, car elle correspond à un objet qui n’est pas celui que nous lui attribuons spontanément et qui se trouve ailleurs que là où nous l’avons placé. L’image illusoire du soleil est une idée vraie en tant que nous la rapportons à notre propre existence corporelle.

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Jupiter et Mars vus du Mont Aigoual

Moi-même, qui retrouvais mes propres effets méconnus dans ma construction de modèles d’univers, je dois, selon Spinoza, retrouver des effets du même type dans les modèles de moi-même. Il me semble que c’est à partir de cette thèse qu’il faut comprendre la révolution copernicienne au XXéme siècle. Si l’on use du vocabulaire de la projection, on dira que la projection imaginaire de soi-même dans la construction du cosmos doit se comprendre encore comme une projection de soi-même par rapport à soi-même. Et il n’est pas possible d’objecter que la dénonciation de l’illusion par Copernic aurait très bien pu être illusoire, car ce que nous apprend Spinoza est que les deux illusions sont structurellement identiques et donc que la déconstruction de leur mécanisme est identique dans les deux cas.

Pas plus que je suis immobile au centre de l’Univers, je ne suis immobile au centre de moi-même. De même que pour comprendre ma position, il faut qu’à partir d’une autre situation théorique je puisse me voir moi-même, de même pour me voir moi-même il faut que je puisse conquérir une autre place en moi-même.

Et cette place théorique, Spinoza la construit à l’aide d’une transformation du concept de tout, ou de substance. Ce n’est donc pas un sujet transcendantal, autre façon de réaliser la révolution copernicienne, qui voit l’observateur empirique ou qui permet à l’observateur empirique de se voir; c’est le tout qu’est la substance qui donne les moyens au mode fini que nous sommes, comme partie dans laquelle le tout est à l’œuvre, de se voir, parce qu’il se comprend avec les yeux du tout. La reprise de soi n’est donc pas dans le spinozisme un retour en soi -au sens d’un retour simple à l’origine- mais une identité dans la structure de la causalité entre soi et ce qui est alors conçu comme soi-même.

Seulement cette structure du tout n’est pas la conception systématique d’une sorte de modèle formel permettant de traduire de façon mécanique les modes de la pensée. Elle existe dans toutes les productions y compris dans les illusions qu’elle permet de démonter. La révolution copernicienne ne peut se faire que dans l’immanence des productions de la pensée. La relativité du mouvement (descriptive) a ouvert la voie: on ne peut voir que là où la situation permet de neutraliser toutes les formes de visibilité, dans le plus grand vacillement de l’indécision, là seulement peut apparaître le singulier. Ce n’est que dans les formes déjà données de la conscience que peuvent -dans la plus grande indécision- être rendus accessibles les postes d’observation. Mais il ne s’agit pas d’un poste séparé de ce qu’il observe, il est construit comme point de référence dans l’intériorité de tout phénomène.
Mais poussons plus loin. On peut et doit comprendre cette forme double de la réflexion -indécision dans l’immanence- comme instaurant la réflexion même -comme devant subsister en tant que telle. Il faut que toute théorie scientifique soit théorie d’une impossibilité et dans le même geste théorie d’elle-même rendue possible sur la base de cette impossibilité. Et c’est parce qu’elle est toujours théorie d’une pratique et théorie d’elle-même, que l’on peut en retour y retrouver des formes ou des apparences de formes de conscience.

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La Terre vue de la Lune, Mission japonaise Séléné

C’est cette idée élémentaire, que Copernic a pratiquée, selon laquelle toute théorie est aussi théorie d’elle-même (idée = idée de l’idée) que Spinoza a développée -en nous faisant comprendre qu’elle résulte en quelque sorte de sa propre pratique- qui caractérise, pour une part importante, la révolution copernicienne au XVIIéme siècle.

On sait que Husserl, à la fin de son œuvre phénoménologique, considère la forme de science selon lui inaugurée par la révolution copernicienne comme mise en crise de la pensée, comme si la vérité de celle-ci se trouvait dans notre retour, contre Copernic, à la Terre comme sol originaire. Je voudrais montrer pour finir que l’oubli de soi en quoi Husserl voit la plus grande détresse philosophique ne peut caractériser qu’une révolution copernicienne inachevée.

On connait les thèses husserliennes fascinantes selon lesquelles chacun de nous porte la Terre en lui, et que ce Sol, ancrage de l’Humanité, ne peut qu’être immobile. Cette thèse fait culminer la critique adressée aux sciences, d’avoir fait perdre à l’humanité le sens de son enracinement. Il me semble que c’est dans le mouvement même des sciences que nous pouvons dépasser cette situation justement diagnostiquée.

Les sciences ont ré-ouvert le problème de la philosophie comme rapport des sujets à leur propres production. Un travail sur l’immanence des actes de la science à eux-mêmes est à même de faire réapparaître les formes de normativité, les formes de conscience de soi qui nous font échapper à l’oubli de soi. Le fait que nous puissions sortir de l’atmosphère terrestre tout en portant la Terre en nous-mêmes en est une preuve. Le fait que nous puissions avoir une certaine prise sur la conscience à travers un travail de celle-ci sur elle-même, en est une autre.

On a pu dire que le mouvement amorcé par la révolution copernicienne s’était inversé, puisque malgré leur extraordinaire complexité les cosmologies contemporaines tendent à replacer l’homme au centre de l’Univers (principe anthropique fort ou faible). Cependant, nous avons vu que ce nouveau mouvement devait être pensé comme un approfondissement de la révolution copernicienne contemporaine, dans la mesure où on pouvait voir celle-ci se déplacer sur une réflexion de ses propres conditions. La temporalité, sinon l’Histoire, a été réintroduite dans l’Univers.

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Les nouveaux mouvements conceptuels paraissent réintroduire dans les choses mêmes les formes de subjectivité qui en avaient été chassées. Mais il faudrait plutôt dire que ce sont ces formes subjectives qui prennent de nouvelles significations.
La coupure entre la science et les origines des constitutions de la pensée tend à s’effacer ou à tout le moins ce sont les formes mêmes nées de cette coupure qui semblent devenir les éléments de la nouvelle cosmologie, mais aussi de la nouvelle physique et de ses mathématiques. C’est ce nouveau mouvement qu’il faut appeler révolution copernicienne. Mais on peut aussi comprendre que cette coupure n’avait jamais été réelle. Et qu’une certaine compréhension restrictive de la science classique avait pu lui donner cette allure.

La façon dont Spinoza poursuit la révolution copernicienne permet d’éclairer une nouvelle compréhension de la science tant classique que contemporaine. Si la connaissance n’est rien d’autre que la détermination de la nature des projections que la situation que nous occupons dans le monde nous oblige à accomplir on comprend que Copernic ait pu être considéré comme son théoricien. Plus que le théoricien de la décentration, plus même que celui de la question du centre, il est celui de l’interrogation sur la connaissance scientifique et ses propres théorisations.
On comprend que la théorie copernicienne ait pu être considérée comme la théorie de l’acte par excellence de la dénonciation des illusions, promu en principe de connaissance. Et si, à ce titre, le rapport que nous entretenons avec l’Univers ne peut être donné que sous le mode de l’immédiateté illusoire, on comprend également que la théorie copernicienne ait été hissée au rang d’une initiatrice de la séparation de l’homme et de l’Univers.

Dénonciatrice des illusions pourrait-on dire fonctionnelles et à ce titre productrice dans le même geste et de concepts objectifs et du sujet qui s’en distingue, rompant à tout jamais avec les formes d’unité de ce sujet avec la Nature, la révolution copernicienne s’est imposée sous cette forme, comme le modèle de la représentation de la connaissance scientifique, comme modèle de l’objectivité conquise sur soi et sur l’autre, sur soi parce que sur l’autre. Elle a pu alors servir de représentation de la connaissance même appliquée au sujet lui-même.

Dénonciatrice des images que nous projetions comme un écran sur la Nature, elle a pu servir de moyen de connaissance des illusions à travers lesquelles nous appréhendions les autres, de connaissance de la méconnaissance des autres à laquelle nos fausses identifications nous condamnent. Sous cette forme, cette révolution a subi pourtant les dégénérescences dogmatiques de toutes les révolutions. Il a fallu reprendre cet événement pour le faire retravailler sur lui-même.

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Nous ne retournerons certes pas à l’état de Nature, mais ce que nous apprend l’analyse copernicienne c’est que la connaissance se produit aussi à travers l’élaboration reconstruite d’un rapport primitif, et que la dénonciation des illusions est le maintien à travers la construction d’abstractions d’un rapport originaire.

Hegel définit souvent l’enfance comme le refus de l’arrachement aux origines, et la puérilité comme le rêve d’une histoire sans violence, mais si l’Histoire est avant tout conflit et déchirement, elle est aussi constituée par des formes de reproduction. Si l’imagination est reproductrice, comme le montre Kant, le concept ne peut advenir que sur la base de cette reproduction. Il faut alors chercher dans les sciences et dans leur histoire des formes nécessaires de reproduction et d’imagination. C’est encore la signification non dogmatique de la révolution copernicienne. En particulier, elle implique par là même qu’aucune forme de réductionnisme ou, comme on dit aujourd’hui, de naturalisme ne préside à son déclenchement.

Nous pouvons alors esquisser certains traits suivant lesquels il est possible de décrire des figures de la raison. Ses productions ne sauraient en aucun cas s’anticiper dans des formes préétablies. C’est pourtant à partir de celles-ci qu’elle doit se déployer. Elle procède à l’égard de celles-ci sur le mode de l’immanence neutralisatrice. Cette neutralisation produit très souvent une impossibilité ou une contrainte à partir de laquelle une nouveau concept qui exprime cette impossibilité de façon positive est construit. C’est très souvent ainsi que procède le mathématicien. (Exemple: la production des nombres irrationnels, les très nombreuses démonstrations d’impossibilité en mathématiques …).
Les formes d’unité qu’elle promeut ne sont jamais totalisatrices. En revanche, les totalités sont présentes dans les parties. La raison a toujours procédé par instrumentalisation du tout. L’illusion consistant, en l’occurrence, en une totalisation du tout. Elle procède toujours en un premier temps par une remise en question de positions à la fois élémentaires et radicales. Celles par lesquelles elle s’était crue constituée. Elle défait un classicisme pour en construire un autre.

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Cette destruction est aussi une reproduction de ce qu’elle a défait à un autre niveau, vu qu’il s’y pose les mêmes questions. Si bien que l’illusion initiale joue toujours double jeu. Elle est si l’on veut à la fois prétexte, obstacle et enjeu. Quant à son modèle reproduit, il peut à son tour dans certaines formes d’abstraction être élément composant, mais aussi, marqué par son origine, continuer de constituer un obstacle (Exemple: le cercle ou la sphère).

Cette description n’est pas celle d’un mouvement hégélien classique même si elle commence bien par une fausse identité, qu’elle défait pour la reproduire à d’autres niveaux. Résumons la différence entre la révolution copernicienne telle que je l’entends et la progression hégélienne.
Dans le mouvement que l’on peut décrire comme celui de sphères qui s’enchaînent et s’entraînent les unes les autres, Hegel nous décrit un processus homogène selon lequel chaque étape est anticipée par la précédente, quelle que soit la complexité de cette anticipation ou la rupture que représente le passage à l’étape suivante. Selon Hegel, on le sait, la raison est l’opération téléologique, et donc une répétition au bout du compte à l’identique de la sphère aristotélicienne. De façon très étonnante on doit dire que la raison hégélienne rétablit dans ses droits et son existence le cosmos d’Aristote dans son éternité. Le processus n’existe que pour disparaître. C’est un mouvement absolu et en même temps un repos absolu: Ce n’est donc pas en réalité une histoire ou bien c’est une histoire qui en même temps n’en est pas une.

Dans le rapport à Copernic c’est d’une tout autre raison qu’il s’agit que celle dont use Spinoza. La raison est théorie de la position qui lui permet de voir comment le sujet se constitue sans que pour autant le processus même de cette constitution soit sujet. La révolution copernicienne de notre temps est celle qui met en mouvement la sphère aristotélicienne même si elle en conserve des éléments, ceux qui lui permettent d’identifier, sans qu’elle s’y identifie elle-même, les formes de constitution du sujet. Et du même coup, la raison est non pas faculté, mais théorie des topiques et donc des positions et des places qui fournissent des formes d’observation. Copernic, dans son rapport initial à Aristote, nous a obligé à penser en termes de topiques et de déplacement. Telle est la façon dont s’est construite la topique transcendantale kantienne; mais celle-ci avait essentiellement transposé celle d’Aristote dans un système de facultés qu’elle avait constitué en sujet transcendantal. C’est le rapport initial sous cette forme qu’a approfondi Spinoza, en s’efforçant de maintenir un en-deçà de la constitution en sujet. Portant ainsi la topique dans la topique, Spinoza ne cesse de pratiquer la révolution copernicienne.

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Il faudrait ajouter, en attendant de le montrer, que c’est ce double arrachement qui a induit une conquête de l’espace réel. Qu’il a fallu nous voir sur Terre, et voir la Terre dans le système des planètes pour que nous réalisions la construction de ce poste d’observation.

Mais il faudrait aller plus loin et montrer que le travail sur la nature de ces constructions devrait nous faire voir les relations que notre histoire sinon nos histoires entretiennent avec celle de l’Univers, et par là même celles que nous entretenons entre nous.

Jean-Jacques Szceciniarz

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