Dans la lumière du Prophète

Joie d’avoir fait l’expérience de la fusion transfigurante de plénitude dans l’autre. Frustration de la retombée au moment où le point de fusion semblait atteint. Il en reste une soif jamais étanchée. Les soufis musulmans parlent de dhamâ -mot poétique à ne pas confondre avec le atash matériel- pour exprimer leur soif inaltérable d’Union avec l’Autre, de fusion dans la Lumière.

Que de fois ont ils commenté ce sublime verset du Coran:

Dieu est Lumière des Cieux et de la Terre

Semblable est la Lumière

À une niche où se trouve une lampe

La lampe est dans un verre

Qui s’allume à un Arbre béni

Un Olivier ni oriental ni occidental

Dont l’huile éclaire d’elle même

Quand même aucun feu ne la touche.

Lumière sur Lumière!

La lumière, dans ce verset, est présentée d’abord dans sa dimension universelle en coup de gong, si l’on ose dire: la splendeur de Dieu est l’habitante de tout, l’habitante du Tout. Mais cette universalité n’empêche pas la “présence” qui est nécessairement liée, pour ne pas tourner à l’abstraction pure et dématérialisée, à une détermination.

Étonnamment, dans ce verset que les mystiques soufis ne cesseront jamais d’interroger, Dieu -à travers il est vrai une métaphore qui réduit le champ de l’intégration factuelle- semble accepter de se donner un contour, le plus vague et le plus évasif qui soit; la “niche” lumineuse se dessine un peu, certes, mais c’est pour aussitôt s’effacer dans l’accentuation de plus en plus vive de la lumière qu’elle induit et qui se déduit d’elle. Qui s’en déduit non selon le principe du syllogisme, mais par l’effet de récurrence progressive qui fonde l’arabesque: ainsi va l’illumination de la “niche” à la “lampe”, de la “lampe” au verre”, du “verre” à l’étoile -le tout regardé à travers la modulation qu’instaure, en un face-à-face de réfraction, la comparaison duelle. La métaphore ne s’arrête pas à cette première fin. La lumière “spatialisée” va, dans un second temps du verset, procéder à sa dématérialisation. De même que la niche était le support de la lampe en état d’expansion, l’olivier -arbre évangélique qu’il me plait de saluer au passage- est, par l’huile qu’il offre, le support du feu dont s’éblouira la lampe. Mais c’est un olivier immatériel “ni d’Orient ni d’Occident”, et l’huile qu’il produit est immatérielle également, et elle s’allume “sans que le feu la touche”. Arbre “béni” et immuable, huile intouchée, lumière qui ne trouve de source qu’en elle-même: lumière-principe. D’être si simple la rend irréductible à ce qui n’est pas elle même, activation de l’Un, et sa multiplication aussi bien: Lumière sur Lumière. Cette lumière qui traverse le temps et l’espace, mais qui rayonne aussi d’avant l’histoire et s’éclaire à l’éternité, c’est elle que les mystiques soufis surnommeront al Nûr al Muhammadî, la lumière du Prophète.

Cette lampe se trouve dans les maisons que Dieu a permis d’élever

Où son nom est invoqué

Où des hommes célèbrent ses louanges à l’aube et au crépuscule.

Mon vœu est que dans toute maison il y ait une place pour une niche où se trouve une lampe qui inonde les cœurs de Lumière, y compris ceux des dictateurs.

Mohamed TalabiPenseur libre en terre d’Islam, Albin Michel, 2003

Attila Durak