Ce documentaire d’un Tibet actuel: les shamans, les transes, les costumes, les huttes, les danses, les sacrifices, les dieux, autrement dit l’immensité figurante et fuyante de la Nature omnipotente encore ici par les cimes et les dieux. Elle ordonne l’existence enserrée de l’homme traditionnel en humanitas perpétuée, sacrée, ce qui veut dire s’entourant de sacré dans le Quadrat heure par heure: terre ciel hommes démons. Être ainsi au monde, sans aucune liberté occidentale, en castes, nullement en classes, en hiérarchie, en rites, en pluralité humaine petite, organique: jeu de séparation des deux modes substantiels: ni l’individuel, ni le grégaire.
Nous sommes sortis de cette humanitas sans retour en dépit de toutes les régressions névrotiques affolées violentes. Nous avons remisé les hommes premiers, la primarité anthropologique relinquante, en réserves, en culturel, dans notre néo-monde mondialisé; où ils ne pourront pas très longtemps encore jouer le rôle de croupiers en pagnes … L’arrachement, par le culturel, de l’humain anthropologique à la tradition, à la génuinité d’alliances avec du divin et du démonique, est achevé. Le rapport immédiat cultuel à son monde est un souvenir, c’est-à-dire une croyance en la croyance passée. Le devenir inculte dans la hantise photophilique des racines commercialisables ne peut être qu’une transition.
L’humanité en deux siècles est devenue un multiple de masses et de sociétés ingérables, éventuellement génocidaires, décomposées par l’argent, scindées en moitiés clientélistes de deux conducators, l’un au pouvoir et l’autre dans l’opposition: un tiers de l’humanité refuse de tout son être archaïque la sortie hors du traditionnel (Islam et animismes); un tiers subsiste par le crime; le reste erre dans l’insensé.
En termes de gestion, si c’est de ça qu’il s’agit, c’est ingérable. À l’échelle démocratique capitaliste des sociétés, on le voit clairement: l’élection ne fait plus de stabilité. L’insurrection des droits revendiqués dans le vaisseau social, qui est un ascenseur, chahute trop. Il y a trop de monde agité dans la cabine, ça ne peut plus décoller. Le socialisme administre la retraite.
Et dans l’écologie, y a-t-il une contradiction auto-immune dégénérative? Donc en tant qu’alarme de pensée ancienne, inquiète du partage inégal qui déshérite de plus en plus le naturel au profit de l’artefactuel humain, elle n’est pas une disposition définitivement technologique, pas encore la dernière novation contribuant à la dévastation et l’attente (titre heideggérien traduit). D’autre part ne se mobilise-t-elle pas, comme totale Mobilmachung (Ernst Jünger) en un dispositif où s’accomplit la prophétie théorique de l’énergification: la maison avec panneaux solaires, clôtures thermifuges, épurateurs ultra-perfectionnés, appareils sophistiqués pour toute fonction, habitacle entièrement économique apte à coloniser la géosphère en autarcie? Et ne serait-elle pas alors le comble de réussite de la production déterrestrée de stations géonautiques éternelles … N’est-ce pas ce que vise l’écologiste ingénieur d’aujourd’hui, reconduisant l’écologie dans la sphère idéologique économiste qu’il combat -au Salon post-moderne de l’éco-technique et des industries bio dotées d’une publicité milliardaire …
Comment transformer le rapport traditionnel du monde à la terre en évitant son renversement homonymique en son contraire insu? Sans doute impossible sans la médiation de l’art, i.e. des œuvres humaines de l’esprit, elles-mêmes conservées transformées ou, comme j’aime le dire, changées en leur perte. Non pas dans un rapport esthétique; mais en traduisant les transcendantaux grâce aux œuvres … Comment faire pour échapper au nihilisme intégral sans la médiation, on n’ose dire la relève, des métaphysiques changées en Pensée …