La riche filière sémantique dont donner serait l’entrée la plus commune dans notre langue, réclame l’attention.
Je me tourne vers doter, se doter … Mélangeant la filière et l’affinité assonantique, autrement dit l’oreille étymologique et l’ouïe poétique, j’inventerais volontiers une famille où opter, adopter seraient … adoptés. Optons pour. Il faut donc sous peine de mort se doter d’âme, se douer, se redoter, se surdouer, d’âme. Comment faire?
Se douer à nouveau de ce dont on se croyait doué par naissance et pourvu par nature, par création: se la donner, se la faire. De tous les supposés transcendants ou transcendantaux (unum, esse, verum, bonum, pulchrum, convertuntur) aucun n’est sous la main, apporté (à portée) avec le corps, psychique -donné, pas même la beauté. Il faut les produire, les éduquer, se transformer pour en inventer une version, une grandeur s’il s’agit de l’âme par exemple. Et que la chair se fasse verbe …
Sandro Botticelli
Qu’est-ce que l’âme? Je ne sais plus. L’âme des théologiens, celle dont le salut, ou l’immortalité préoccupa les sauveurs, a quitté l’expérience. L’âme mortelle, psychologique, dont la complexe singularité se fit objet de science(s), a ses thérapeutes. Distincte de ces deux, l’âme dont je cherche l’épreuve et la preuve, n’est-elle pas à réinventer, comme l’amour rimbaldien? L’âme monte avec la sublimation. Réenchanter le monde, ce slogan politique, ne se réalisera pas par la politique, même rêveusement socialiste.
L’un des moyens pour redouer l’âme de sens est de trouver l’âme sœur. Par une âme-sœur, si j’opte et adopte, je pourrais peut-être me doter d’une âme; accéder au régime que Simone Weil appelait du surnaturel, qui est celui d’une nature relevée, élevée, sublimable au sens chimique, vers un autre état de la matière.
Une autre voie est de revenir à l’expérience du mal, je veux dire à la pensée du mal, qui détruit l’âme et donc la fait paraître, exister, pour un sujet pensant.
Je ne sais plus ce qu’est l’âme, et serais prêt à renoncer à son emploi … N’était l’âme-sœur, dont la rencontre espérée, une ou deux fois, par vie, fait pressentir la possibilité, la quasi-réalité. Dans l’affect et l’affaire de l’âme-sœur, le vocable de l’âme trouve un possible usage. Le sens d’âme, voire, peut-être, sa signification, commence de poindre. Un différentielle, en auxiliaire pour âme (dans l’expression, le syntagme, âme-sœur) donne un sens à l’inconnue (à jamais inconnaissable X s’il restait seul). Non à l’Âme; oui à l’âme-sœur. Les corps, conjoints, ça sert à chercher (à trouver peut-être) l’âme-sœur. Si non, tout est manqué (un seul être vous manque et tout …).
Michel Deguy