Le pervers narcissique

Le pervers narcissique n’est pas l’homme du mal ordinaire. L’homme du mal ordinaire est celui qui, tout en faisant le mal, reste persuadé qu’il suffirait de commettre de bonnes actions pour être soi-même bon.

Le pervers sent qu’il ne suffit pas de commettre de bonnes actions pour être bon. Sa sensibilité morale est plus fine que celle de l’homme du mal ordinaire. Mais le pervers s’enfonce dans l’autosuffisance. Il tire parti de la situation. Si le bien est impossible, tout le mal en revanche demeure possible.

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Les choses se mettent à bouger, à sortir de leur cadre, à ressortir: elles s’enchantent. Le pervers rend le réel surréel, en voyant et en faisant voir dans tout ce qui se présente à lui l’occasion d’accomplir ses fantasmes. Il se prend au jeu, en sachant qu’une fois qu’il aura commencé il se fera un devoir d’aller jusqu’au bout. Quel bout? Soit un moi absorbant le monde, soit un monde absorbant le moi: l’implosion du monologue ou l’explosion du silence. Alors le pervers n’est plus ni au monde, ni à lui-même: il n’a plus d’ancrage nulle part.

C’est pourquoi il est vain de vouloir lui expliquer à quel point il est pervers.  C’est un marginal que rien ne distingue des autres mais qui se meut dans le commun avec délectation, tel le meurtrier du roman de Giono, Un roi sans divertissement.

L’homme est l’être éminemment dangereux de qui on peut s’attendre à n’importe quoi, non parce qu’il dispose naturellement d’un droit illimité pour se conserver, comme le croyait bêtement Hobbes, mais parce qu’il est susceptible, en tant qu’être dénaturé, détourné de Dieu et livré à lui-même, d’être distrait de la routine morale, excédé par les bienséances et captivé par toutes les horreurs que lui suggère son imagination. Ces horreurs ne lui paraissent plus des horreurs. Dans l’état de somnambulisme et d’apesanteur où se trouve le pervers, ces horreurs ont quelque chose d’innocent. L’homme pervers régresse en deçà du clivage du bien et du mal, loin de surmonter dans la grâce le clivage du bien et du mal. Mais, en même temps, le pervers ne perd pas conscience au point de ne plus s’apercevoir que ces horreurs n’ont, en fait, rien d’innocent. Voilà pourquoi il cherche à s’abrutir, à sombrer dans l’inconscience, son seul désespoir étant de ne pouvoir atteindre, malgré tous ses efforts, l’innocence des bêtes.

Sa nostalgie de l’innocence est un désir  de sainteté, désir pervers, l’innocence de l’homme n’ayant rien de commun avec l’innocence de l’animal, l’homme étant d’autant plus exposé à la perversité qu’il aspire davantage à la sainteté, mais par ses propres forces.
Selon la Bible, tout homme est potentiellement pervers car nul homme ne peut se glorifier sans mensonge de ses propres œuvres. Suffit-il de s’abstenir des mauvaises actions pour que le cœur soit exempt d’iniquités? Qui ne fait le mal en son cœur ou qui ne rêve de faire le mal? L’injustice consiste à se figurer qu’on est meilleur que ceux qui commettent de mauvaises actions.

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Le saint se sait digne de la colère de Dieu, mais il a foi en la parole qui non seulement promet la rémission des péchés, mais encore effectue la rémission des péchés. Aussi le saint est-il semblable à Dieu qui, dans sa grâce, ne juge pas, et qui, dans sa justice, ne juge pas par lui-même, ou avec partialité, mais laisse les hommes se juger eux-mêmes.

Dieu qui est le modèle de toute sainteté fait indistinctement lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et indistinctement pleuvoir sur les justes et sur les injustes, sa parole seule opérant la discrimination entre les justes et les injustes.

Hélène Bouchilloux

Vanessa Winship