1 Les Echelles, fragments d’une histoire de la guerre civile

Le 17 Juin, le nouveau chef du gouvernement français demande à la radio de cesser le combat, unilatéralement, avant toute signature d’un armistice. Ce qui permet à la Whermacht de faire près de deux millions de prisonniers.

Il est impossible que cette conséquence n’ait pas été anticipée: putsch catholique-conservateur, plutôt que fasciste, à la faveur d’une bataille perdue. Biopolitique. Une histoire qui reste à écrire.

HISTOIRE IMMEDIATE

Philippe Pétain et Otto Abetz

Mais l’État-major n’est pas unanime, quoique l’Appel de Pétain ait évidemment rendu catastrophique la situation militaire. La temporalité de la guerre sera retravaillée, comme on sait, par un autre appel, le 18 Juin.

Lyon déclarée ville ouverte, l’armée nazie la traverse et se déploie en éventail: par Andance, Tain, Romans. Une autre branche prend la Nationale 6, par Bourgoin. Elle subira une lourde défaite en tentant d’entrer à Grenoble par Voreppe.

A Bourgoin un rameau se détache de la seconde branche: La Tour du Pin, Les Abrets, et le 23 Juin Pont de Beauvoisin. Il s’agit d’arriver à Chambéry par Les Echelles. Patrouilles de pointe, chars légers, auto-mitrailleuses blindées motorisées, artillerie de tous calibres, puis colonnes de soldats en camions. Les Allemands remontent le Guiers jusqu’à un pont intact, que l’artillerie française tente sans succès de détruire, et rejoignent, aux Quatre Chemins, la route de Chailles.

Le 18 Juin, des renforts étaient arrivés aux Echelles: deux compagnies -tirailleurs sénégalais et infanterie- deux pièces de 65, une section de fusiliers marins, deux canons de marine de 47, et une section du génie. Les ponts sont minés. A Saint Pierre d’Entremont, où est établi son Q.G., le général Cartier -qui fait parvenir des couvertures à un groupe de réfugiés d’Italie, il s’agit des Chartreux revenus au Monastère- a pour mission d’interdire la vallée du Guiers. Aux Echelles et à Entre-Deux-Guiers sont érigées des barricades fermées, sans chicane, et des nids de mitrailleuses.

Le 20 Juin un communiqué engage femmes et enfants à s’héberger à la campagne, sans précipitation, compte tenu de la résistance que l’élément militaire va être amené à faire. Les familles gagnent les hameaux des Entremonts, certaines y restent: à la Ruchère l’apprenti-boulanger Raymond Christaud, 16 ans, pétrira pendant la guerre 3 fournées de pain par jour, descendues en camionnette.
Vendredi 21, le Génie fait sauter, pour obstruer la route sarde, des maisons et une partie de la vieille église de St Christophe la Grotte, et de l’autre côté du village le pont du Moulin Neuf, après la papeterie.

Dimanche 23, escarmouches entre batteries d’artillerie. La fumée des fermes et granges incendiées monte au-dessus des gorges de Chailles. Le soir les tirailleurs opposent un feu nourri aux avancées des Allemands, qui se replient sur Pont de Beauvoisin.

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Jack Normandin, Jules Gibert, Dogo Coulibady, Bakary Tienta, Dategué Dembélé, Dontigué Boré, Soro Sama, Saturnin Koné

Il faut barrer la route des gorges, mais il serait trop long d’ouvrir les barrages pour faire passer des moyens militaires de transport. Deux voitures sont prêtées, et conduites, par des civils bénévoles, et acheminent en deux voyages, troupes et explosifs. Sous la fusillade, après plusieurs échecs, la route est partiellement éboulée.
Au matin du 24 les Allemands se sont répandus en 3 colonnes: Saint-Béron et Saint-Franc, Miribel, et route de Chailles, ré-ouverte dans la nuit. Une estafette française, capturée, est renvoyée: on demande un libre passage.
A 8 heures le lieutenant Normandin fait tirer. Il est immédiatement tué avec ses hommes. La section des tirailleurs, sans instructions, reflue alors avec bien des difficultés, entrainant son soutien, les pièces de 65.
Au même moment la colonne allemande qui avait occupé Saint-Franc dépasse le village et gagne le hameau des Tartarins, où elle dispose deux pièces de 105 qui arrosent Les Echelles, déjà bombardée par des canons installés à Miribel.

Les troupes françaises disséminées ripostent, malgré l’écrasante disproportion technique. Elles sont ravitaillées sous le feu par la population -plus d’intendance, ni d’infirmerie militaire, les blessés, dont aucun ne mourra, sont soignés au village.
Dans l’après-midi, les défenseurs sont débordés au-dessus du cimetière, la route de Chambéry est battue à la mitrailleuse.

Mais route de Lyon deux tanks allemands brûlent, les barricades sont en flammes, la progression nazie est entravée.

Les canons de marine? Celui d’Entre-deux-Guiers ne sera pas utilisé, et celui des Echelles, mal disposé, bascule, inutilisable. Il n’y a plus d’anti-tank efficace, aucune liaison radio depuis longtemps.
Les troupes sont en contact immédiat. L’artillerie allemande, tranquillement amassée toute la journée depuis Pont, se dispose à raser le bourg.
Dans la soirée un officier dépêché par l’État-major annonce un proche armistice avec l’Italie. Le maire, flanqué de deux notables, suivi d’un tirailleur sonnant trompette et agitant un drapeau blanc, rejoint non sans mal les officiers des troupes d’assaut, pour demander le statut de ville ouverte et épargner la population -ou bien pour offrir un libre passage à nos amis anticommunistes et en finir avec ces conneries, question délicate, les deux interprétations ne sont pas contradictoires.

Mais on ne discute pas avec des civils! Est finalement proposé au commandement français le départ des troupes, mais désarmées. Refus des officiers. Après la menace de la destruction des Echelles, civils inclus, dans le quart d’heure -le bombardement de Varsovie est dans toutes les mémoires!- et divers contretemps et atermoiements, cessez-le-feu: les troupes françaises passent à Saint-Laurent, en armes.

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Maquis de Saint Même, 1944

Huit morts et trente blessés français. Soixante tués allemands, trois cents soldats hors de combat, une colonne nazie arrêtée trois jours alors que chaque heure compte: un éclatant fait d’arme.

Un récit minutieux: Antoine Baton, jours d’épreuve, Buscoz Imprimeur, Les Echelles-Savoie, 1947