Lorsqu’il était étudiant Raffael Scheck, universitaire allemand, enseignant l’histoire de l’Europe moderne aux États-Unis (Université du Maine), découvre qu’un massacre de soldats noirs était intervenu aux environs de Lyon en 1940. Quelques années plus tard, il enquête sur cet épisode, découvre l’ampleur des tueries systématiques de tirailleurs sénégalais capturés, d’où un livre documenté qui décrit avec rigueur et objectivité une des pages les plus sinistres de l’histoire de l’Europe.
Une plaquette du Ministère de la Défense
Tragique rituel, répété des dizaines et des dizaines de fois avec, au terme, des milliers de soldats exécutés, les blessés achevés. Un exemple. Nous sommes le 7 juin 1940 à Airaines (Somme). Après quarante-huit heures de résistance acharnée, l’héroïque capitaine N’Tchoréré à court de munitions se rend avec cinquante tirailleurs. Il est aussitôt abattu d’une balle dans la nuque, tous ses tirailleurs fusillés le lendemain.
À qui attribuer cet exploit? Non pas à une horde de SS mais à une unité régulière de la Wehrmacht, la 7e Panzer, dont le chef est Rommel, ce « modèle » qu’une certaine histoire transforme en adversaire chevaleresque et dont on a eu l’impudence de titrer les carnets La guerre sans haine. La première édition des Mémoires de Rommel raconte comment on attachait sur les panzers, en 1940, des animaux noirs crucifiés -des tirailleurs. Ce passage a disparu des éditions suivantes …
Comment s’explique la barbarisationde l’armée allemande? Scheck en trouve l’origine dans les rapports entre l’Afrique et l’Allemagne, puissance coloniale de 1884 à 1918 dans le sud-ouest africain. Période marquée par une série de soulèvements écrasés dans le sang par le général Lothar von Trotha un boucher en uniforme qui a vu l’anéantissement des peuples hereros, namas, maji-maji.
Le célèbre Appel au Monde civilisé, diffusé en 1914 par 93 prestigieux savants de langue allemande (Einstein contacté refusa) se termine par:
Ceux qui ne craignent pas d’exciter des mongols et des nègres contre la race blanche, offrant ainsi au monde civilisé le spectacle le plus honteux qu’on puisse imaginer, sont certainement les derniers qui aient le droit de prétendre au rôle de défenseurs de la civilisation européenne.
Lors des confrontations de la guerre 14-18 contre des tirailleurs régulièrement enrégimentés, un mythe se crée selon lequel les soldats allemands auraient été victimes de cruautés qui n’avaient été vues jusque là que dans des combats contre les nègres. Battue, l’Allemagne est contrainte d’accepter l’occupation de la Rhénanie, où la présence de soldats coloniaux révulse la population et déclenche un battage médiatique haineux.
Erwin Rommel
Cette campagne de la Honte Noire ouvrait la voie dès 1933 à une propagande qui ne connut plus de bornes avec Goebbels en 39-40. Les tirailleurs sénégalais, animaux noirs vêtus de kaki, à peine au-dessus du gorille, doivent être abattus dès leur capture. Et une directive du haut commandement déclarait qu’il était honorable de fleurir les tombes des soldats tombés au champ d’honneur mais qu’il était interdit, sous peine de sanction, de faire de même avec celles de tirailleurs -lorsqu’elles existaient.
Considéré comme un sous-homme, le tirailleur devient un combattant illégitime, non protégé par la convention de Genève. Les massacres de 1940 furent donc autorisés non par des ordres précis mais par une vision du monde; ils allaient de soi. Pas un officier de la Wehrmacht n’ignorait ces appels au meurtre, y compris Rommel, ancien commandant de la garde personnelle du Führer. L’enquête historique impose de préciser que certains officiers allemands eurent le courage de résister, se conduisant avec honneur.
Bilan: 17 000 tirailleurs tués en deux mois sur 40 000 engagés sur le front.
Quelle reconnaissance la France eût-elle envers ses coloniaux? De multiples procès furent engagés contre les Allemands du fait de leurs exactions; s’agissant de victimes blanches les procédures suivaient leur cours. S’agissant de tirailleurs pas une seule n’alla jusqu’à son terme. Les promesses faites à nos soldats d’outre-mer ne furent pas tenues d’où la grande révolte du camp de Thiaroye près de Dakar en novembre 1944. Les soldats français tirent, de nombreux morts, des centaines de blessés.
Enfin une loi dite à l’époque de cristallisation, loi ségrégationniste qui réduisait à la portion congrue les pensions de retraite et d’invalidité des soldats de couleur, était ainsi justifiée par un ministre du gouvernement Jospin: établir l’égalité des droits serait bouleverser l’économie de l’Afrique.
Fresque murale à Dakar. L’histoire du camp de Thiaroye reste à faire.
Michel Fontaurelle, Royaliste, à propos de Raffael Scheck: Une saison noire, le massacre des tirailleurs sénégalais