L’Europe gît, appuyée sur ses coudes. Elle regarde le futur du passé, l’Occident (Pessoa). Le Portugal bascule vers l’ouest, à contre-Europe. Cette pente a découragé sa population d’envahir le plateau voisin de la meseta espagnole, et l’a écoulée sans cesse vers l’ailleurs océanique, occidental. Le territoire n’a pas de cœur, ni de nombril, mais il a un point de catastrophe, Cabo da Roca, la pointe la plus occidentale du continent européen, où la terre s’achève et la mer commence.
Ainsi, les colons romains du Portugal ne furent pas seulement des locuteurs d’extrémité d’Empire, comme les Roumains. Ils se sentirent à la fois loin du centre, Rome, mais également loin d’eux-mêmes par l’appel de l’immensité aquatique vers laquelle le basculement du relief les dissolvait. En appel non du Levant mais du Couchant.
Pessoa
Si bien que le lointain nostalgique de l’espace se double d’un lointain nostalgique du temps. La défaite d’Alcacer Quibir, où le 4 août 1578 le roi Sébastien, alors âgé de 18 ans, périssait et littéralement disparaissait, eût sans doute créé partout un traumatisme, mais nulle part le jeune roi volatilisé ne serait pareillement devenu le désiré, Sebastiâo o Desejado. Les Sébiastanistes veulent qu’un jour l’ombre du disparu remonte le souple Tage par temps de brouillard, d’Ouest en Est, à contre-soleil.
La langue portugaise s’est établie comme pratique constante du désir, s’il est vrai que désirer c’est saisir à partir des étoiles, de-sidera. Et elle a fondamentalement réalisé ce parti dans la nasalisation vocalique hypertrophiée …