Tagish, tahltan, tuchone, algonquin, abenaqui et malecite !

Les amis de Max Rouquette ont reçu cette lettre de Lionel Navarro:

Le racisme anti-Native est très fort: stupid Indians, drunk indians … A Courtenay, les pêcheurs blancs font retomber la faute de la disparition des saumons sur leur tête; car les Indiens ont l’autorisation de pêcher sur leur territoire toute l’année. Comme s’ils avaient pu vider l’océan et les rivières …
J’ai vu une très belle exposition au Musée de l’Anthropologie de Vancouver; une des installations signifiait la disparition de la langue gitxsanimax des habitants de la petite réserve d’Anspayaxu, au nord de la Colombie-Britannique. Plus que 400 personnes la parlent encore. Les PowHow sont devenus des trucs à touristes … Je me suis promené aussi dans la Réserve squamish de North Vancouver -charmante, mais la pauvreté est bel et bien là. Et le silence.

Je vous écris depuis le Canada (depuis la ville de Québec, exactement) où je vis depuis bientôt presque une année. Second pays ayant la plus grande superficie au monde, terre du septentrion aux saisons bien marquées, territoire de falaises et de vaux, de plaines à perte de vue, de très-hautes montagnes, terre baignée par un fleuve pour moi de légende, le Saint-Laurent, le Canada me parut être la destination propre à satisfaire mon désir d’échappée belle … Je découvris, préparant mon voyage, la devise du Canada: A mari usque ad mare, d’un océan à l’autre: l’aventure me parut se tenir là, comme cent promesses. Je décidai de traverser la Fédération depuis Québec jusqu’à Vancouver et, au-delà, Tofino, en Colombie-Britannique. C’est une petite ville balnéaire bâtie sur la côte ouest de l’Ile de Vancouver, un paradis pour les tempêtes d’octobre, les vagues et les surfeurs.

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Je choisis le Québec parce que cette Province a une histoire et des personnages historiques qui m’émeuvent: le Bas-Canada découvert par Cartier et Champlain, catholiques. Administré par Roberval, le Protestant, corsaire du Roi de France et vice-roi du Canada, Roberval, fils d’un Carcassonnais; je nomme aussi le Marquis de Montcalm, dont l’hôtel particulier jouxte l’appartement de Max Rouquette, à Montpellier.
À Vancouver, visitant le campus de l’UBC, de l’Université de la Colombie-Britannique, je découvris, instaurée en 1993, la faculté des Etudes sur les Premières Nations (250 étudiants autochtones, en majorité des femmes), je visitai le Musée d’Anthropologie avec ses merveilleuses pièces d’art et ses impressionnants totems …

La directrice-adjointe intérimaire de la Long House, Mary Jane Joe, me permit de voir la salle des remises de diplômes universitaires, avec ses loups et ses corbeaux allégoriques taillés dans le bois peint. Me renseignant sur la signification spirituelle de tel ou tel ornement, elle m’expliqua que cette grande salle, originellement ouverte sur l’extérieur et à tous, une sorte de préau, dut recevoir l’ajout de baies vitrées: des étudiants, un soir de saoûlerie, vinrent vandaliser les lieux.

J’appris que les Blancs, au tournant du XIXe siècle et jusqu’à tard dans le XXe, enlevèrent à leur famille autochtone des enfants pour les remettre dans des écoles anglophones tenues par des religieux. Pour assimilation forcée. Malheur à celui ou celle qui osait parler sa langue maternelle! Du fil et une aiguille; la bouche était close.
The children had to act, to think, to behave like a non-native.

Les dommages sont faits, sont intériorisés: culpabilité et honte chronique d’être un Indien, un Peau-Rouge (je me permets de conserver ces beaux noms que le politiquement correct et le racisme, au Canada, ont bannis -ayant été connotés négativement par la société, la littérature et les westerns), discrimination à l’école, échec scolaire (l’enfant, dans la culture des First Nations, apprend en refaisant ce qu’il voit; il est un visual learner -aujourd’hui une pédagogie attentive aux difficultés et aux capacités de ces élèves s’invente pour eux. Les études universitaires leur semblent inaccessibles ou faites pour les Blancs; peu vont dans les facultés), chômage, traumatisme … Quelquefois laisser-aller aussi, abandon, désespoir: on boit beaucoup, on se suicide beaucoup.

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Un Ministère fédéral pour les Affaires indiennes et du Nord Canada et un Secrétariat aux Affaires autochtones au Québec sont les interlocuteurs privilégiés de ces communautés.

Les langues amérindiennes (plus de 30 coexistent rien qu’en Colombie-Britannique) meurent: athapaxan, dunne-za, carrier, ts’ilhqot’in, chipewayan, dogrib, han, hare, kasha, gwit’in, sarcee, sekani, dene dhaa, tagish, tahltan, tuchone, algonquin, abenaqui, pied-noir, cri, delaware, malecite, micmac, montagnais, naskapi, ojibwa, potawatomi, siouan, dakota, wakashan, haisla, kitimat, heiltsuk, kwakiutl, nuu-chah-nulth, nitinat, salishan, comox, halkomelem, stl’ati’imx, lillooet, okakogan, sechelt, secwepemc, shuswap, squamish, straits, salish, nlaka’pamux, iroquois, cayuga, mohawk, oneida, onondaga, seneca, tuscarora, tsimshiam, tsimshiam de la côte, tsimshian du sud, nisga’a, gitksan, shaida, tlingit, ktunaxa, eskimo, aleut, inukitut, et les langues hybrides: chinouk, michif (l’émerveillante langue des Métis, prononcez méti, ces descendants des femmes crees et des trappeurs français).

Je suis sur la côte ouest de l’île de Vancouver. Les couleurs dominantes, au début du soir, dans l’Anse de Tofino, sont le mauve et le rosé éclairant tout, de l’océan électrique au ciel en passant par les montagnes tout proches. Le mois d’août soulève l’horizon pour dévoiler la neige des sommets. Dans le calme.
C’était le second soir de mon arrivée, derrière l’Auberge de Jeunesse où je logeai. De l’autre côté du bras de mer se trouve une réserve; je vois les lumières du village et quelques petits bateaux à moteur s’y dirigeant. Les backpackers buvaient des bières, parlaient les uns avec les autres; j’écoutai le murmure des voix de celles et ceux ayant, à ce moment-là, une heureuse vie. Je remarquai le même groupe de trois hommes (des autochtones) que j’avais remarqué déjà la veille au même endroit; ils se tenaient à l’écart. Le plus âgé des trois (il a les cheveux blancs tandis que les deux autres sont de tout jeunes adultes), ivre sans être agressif (comme les deux autres), demande à tout le monde une cigarette (il me racontera plus tard qu’il a été marié à une parisienne et qu’elle est partie). Tout le monde lui répond no-smokers.
Je crois que je vais bientôt arrêter de fumer, se dit-il à haute voix. Les jeunes ne fument-ils plus? Un couple d’une petite vingtaine d’années lui explique: Time has changed.
Un des jeunes hommes, le regard un peu flou, en profitent pour parler à ces Canadiens: Je suis du clan du Loup, de la tribu Ahousat. Mon nom est Daniel Franck. Mon grand-père était le chef spirituel de notre communauté. Je l’ai vu donner à manger aux loups. Ils venaient prendre la viande dans sa main. Mon grand père mourut, il y a quelques années. Deux jours après son enterrement, un matin, le village fut en émoi: durant la nuit, un grand loup mâle -que personne ne vit- avait retourné la terre dans laquelle reposait son corps. Des empreintes montrèrent que l’animal s’était même approché de son ancienne maison où vit encore ma grand-mère.

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C’est elle qui rassura le clan: Calm down! It’s him. C’est l’esprit de mon mari qui est revenu sous la forme de ce grand loup mâle. Pourquoi s’inquiéter?
J’y crois dur comme fer poursuivit Daniel.

Bibliothèque Gabrielle-Roy, la plus grande de la ville de Québec. Je passe dans les rayons à la recherche de romans et de recueils de poésie indiennes publiés. Je ne trouve quasiment rien, si ce n’est Bâtons à message de Joséphine Bacon et quelques œuvres de Jean Sioui. Le Répertoire bibliographique des auteurs amérindiens du Québec (1993) et l’Histoire de la littérature amérindienne au Québec (1995) répertorient seulement 18 auteurs et 27 ouvrages. Je m’étonne encore: à part le recueil bilingue de la montagnaise Bacon, tout est écrit directement en langue française, avec, ça et là seulement, un mot amérindien, un nom propre de divinité ou désignant un rituel particulier. Cette absence provoque, à mes yeux, l’effet d’un exotisme littéraire ne désignant finalement nul lieu, nulle identité, si ce n’est par l’usage d’une teinture folklorisante.

J’assistai à une soirée de poésie où vinrent deux poétesses: l’une, Pauline Dubé, la quarantaine, de la Nation Atikamekw, allait bientôt voir ses poèmes édités.
L’autre, une Innue, Manon Nolin, 25 ans, utilisait internet pour faire lire ses textes.
Toutes deux n’écrivent pas dans la langue de leur clan et évoquent, en français, la mémoire, le lieu de la tribu, la nature, Manitou, une douleur, une reconnaissance, une philosophie du vivre. Mais qui lit la littérature amérindienne (une littérature minorée, mise à la périphérie de la littérature canadienne), sinon, sans doute, leurs propres clans? Et combien de lecteurs parmi les clans? A qui s’adressent ces œuvres?

Attendre.

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