L’échec de Moïse à l’Agence de l’Eau

Le Seigneur dit à Moïse: “Prends ton bâton et, avec ton frère Aaron, rassemble la communauté; devant eux, vous parlerez au rocher et il donnera son eau. Tu feras jaillir pour eux l’eau du rocher et tu donneras à boire à la communauté et à ses troupeaux.” Comme il en avait reçu l’ordre, Moïse prit le bâton qui se trouvait devant le Seigneur. Moïse et Aaron réunirent l’assemblée devant le rocher et leur dirent: “Écoutez-donc, rebelles! Pourrons-nous de ce rocher vous faire jaillir de l’eau?”. Moïse leva la main; de son bâton, il frappa le rocher par deux fois. L’eau jaillit en abondance et la communauté eut à boire ainsi que ses troupeaux.

Le Seigneur dit à Moïse et Aaron: Puisque, en ne croyant pas en moi, vous n’avez pas manifesté ma sainteté devant les fils d’Israël, à cause de cela, vous ne mènerez pas cette assemblée dans le pays que je lui donne.” Ce sont là les eaux de Mériba où les fils d’Israël cherchèrent querelle au Seigneur; il y manifesta sa sainteté.

Nombres, 20, 12Nombres 20, 7-13

Toute une histoire

Mara est présentée comme la première étape des Hébreux après la traversée de la Mer des Joncs (Exode 15, 22-26). En réalisant, après trois jours d’errance dans le désert, que l’eau sur place est imbuvable, ils conspirent -une nouvelle fois- contre l’autorité prophétique de Moïse.

Le Seigneur indique alors un arbre dont le bois permet de rendre l’eau potable. Et chaque soir, grâce à Myriam, apparaissait dans le campement un puits rempli de l’eau de Mara. Ce puits devient mouvant et accompagne les déplacements des Hébreux. Le puits de Mara est semblable au don journalier de la manne.

Aussi, le décès de Myriam signifie concrètement la fin de ce mystère et la disparition de l’eau pour la communauté. Cette disparition laisse Aaron et Moïse en posture délicate. En peu de temps, une émeute gronde et Moïse est même menacé de lapidation. La suite du récit diffère entre le livre de l’Exode et le livre des Nombres. Ce dernier relate une triple transgression de la part de Moïse et Aaron. Pourtant, le résultat est là: l’eau jaillira en abondance; hommes et bêtes pourront étancher leur soif. Mais la punition divine sera à ce point sévère qu’elle privera les deux frères du but ultime et de la raison d’être de leur périple, à savoir l’entrée en Terre promise.

Ain Ghazal, Jordanie

Quelle est la gravité de ces transgressions? Moïse et Aaron devaient, devant le peuple, parler au rocher pour qu’il donne ses eaux. Plutôt que d’apparaître en public en situation de parler à une pierre, c’est à la communauté qu’ils préfèrent s’adresser. Leurs propos prennent la forme d’une interrogation: Dieu va-t-il une nouvelle fois sauver son peuple? C’est une formulation qui semble trahir un doute … Voire le début d’une mise à l’épreuve de Dieu … C’est la deuxième faute des deux frères.

Enfin, Moïse utilise son bâton, celui même devant lequel s’était fendue la Mer des Joncs, pour frapper par deux fois la roche. Frapper la terre, pour obtenir ce que l’on souhaite, paraît plus raisonnable que de lui parler. Mais par ce geste trop raisonnable, Moïse oblige de façon extravagante, superstitieuse, la Terre à la soumission … L’usage du bâton est dévoyé! Il était le symbole de la libération d’Égypte par la main du Seigneur. Son caractère mémoriel fondait l’autorité de Moïse, choisi pour être porteur de cette relique visible par chacun, de ce rappel de l’expérience épiphanique et libératrice que tous ont vécue.

Vallée du Nil, néolithique

Face à ce peuple rebelle, Moïse invoque maintenant l’autorité d’un gourdin, qui met sous son joug les rochers et menace le peuple d’un pouvoir à la fois physique et surnaturel. La grâce de la manne, le don de l’eau du puits de Mara obtenu par la médiation de Myriam, sont effacés au profit d’une tentative d’accaparement symbolique de la ressource en eau: si le peuple boit, il le devra à la mauvaise magie de ce bâton, devenu sceptre, et à la puissance de celui qui le porte. C’est l’ébauche d’une usurpation. Moïse n’a pas été pleinement partenaire de la manifestation de la sainteté de Dieu.

Ecologos

Je te frapperai sans colère

Et sans haine, comme un boucher,

Comme Moïse le rocher!

Oui, je vais t’éventrer, ma Terre, sans pitié et sans joie. Je vais raser tes forêts, éclater tes montagnes, vider tes mers de ses poissons, de ses baleines. Il faut bien vivre! J’avais fui cette horreur, pourtant. D’abord en sortant de la Caverne aux Maléfices, celle des Maitres Chasseurs, de leurs esclaves et de leurs blasons peints (ce qu’ils appellent des grottes-sanctuaires … S’ils savaient …). J’ai cultivé la terre, un enracinement et un surcroît de liberté, ô paradoxe!

Et puis j’ai quitté la Première Cité, l’Égypte, devenue la Ville des Morts. Et je suis parti vers le désert … Mon audace et ma foi dans la liberté étaient figurées par la manne, et par le puits de Myriam qui se creusait tous les soirs.

Mais j’ai voulu régner! Et alors plus d’eau vive! Des bassines, du bétail, des bouchers, des esclaves et des rois -non, les rois aussi sont des esclaves, sans le savoir, Temps Modernes!

Le néolithique a été une suite de faux départs … Qui continuent …

L’histoire de ces faux départs doit elle-même être reprise -la différence induite par la répétition permet de démythologiser: Pour lire le nouveau, il faut dupliquer l’ancien. La parole se lève à partir de la différence des langues, plutôt que malgré elle. C’est le vrai lieu de l’universel et son vrai moment.

L’eau vive du puits de Myriam sera retrouvée, cette fois en compagnie d’une étrangère, d’une Samaritaine. Et la pleine sainteté, elle viendra, comme l’annonçaient les prophètes. Moïse y sera présent, en compagnie d’Élie. La pleine sainteté, ce sera cet échange retiré, éclatant, muet, entre le Fils de l’homme, la Terre et le Cosmos, sur le Mont Thabor. La Transfiguration, puisque c’est de cela qu’il s’agit, n’est pas dogmatiquement dicible (ils ne savaient pas ce qu’ils disaient): que veut dire en effet parler au rocher, plutôt que de le frapper?

Réfléchis.