Il y avait à un quart de lieue de mon château, une malheureuse chaumière appartenant à un paysan fort pauvre, qui se nommait Martin-des-Granges, père de huit enfants, et possédant une femme que l’on pouvait appeler un trésor par sa sagesse et son économie; croiriez-vous que cet asile du malheur et de la vertu excita ma rage et ma scélératesse!
Elvire et moi nous avions porté du phosphore de Boulogne, et j’avais chargé cette fille leste et spirituelle d’amuser toute la famille, pendant que je fus le placer adroitement dans la paille d’un grenier qui se trouvait au-dessus de la chambre de ces malheureux; je reviens, les enfants me caressent, la mère me raconte avec bonhomie tous les petits détails de sa maison. Le père veut que je me rafraîchisse; il s’empresse à me recevoir de son mieux. Rien de tout cela ne me désarme, je ne suis attendrie par rien; je m’interroge, et loin de cette fastidieuse émotion de la pitié, je n’éprouve qu’un chatouillement délicieux dans toute mon organisation: le plus chétif attouchement m’aurait fait décharger dix fois.

Je redouble mes caresses à toute cette intéressante famille, dans le sein de laquelle je viens apporter le meurtre; ma fausseté est au comble, plus je trahis, et mieux je bande. Je donne des rubans à la mère, des bonbons aux enfants; nous revenons.
Mais mon délire est tel, que je ne puis rentrer chez moi, sans prier Elvire de soulager l’état terrible dans lequel je suis. Nous nous enfonçons dans un taillis, je me trousse, j’écarte les cuisses … Elle me branle … À peine m’a-t-elle touchée que je décharge; jamais encore je ne m’étais trouvée dans un égarement si terrible; Elvire, qui ne se doutait de rien, ne savait comment interpréter l’état où elle me voyait … Branle … Branle … Lui dis-je, en suçant sa bouche, je suis dans une prodigieuse agitation ce matin; donne-moi ton con, que je le chatouille aussi, et noyons-nous dans des flots de foutre … Et qu’est-ce donc que madame vient de faire … Des horreurs … Des atrocités, et le sperme coule bien délicieusement lorsque ses flots s’élancent au sein de l’abomination; branle-moi donc, Elvire, il faut que je décharge. Elle se glisse entre mes jambes, elle me suce … Oh foutre! lui criai-je, Que tu as raison, tu vois que j’ai besoin de grands moyens … Tu les emploies … Et j’inonde ses lèvres …
Le film de Guy Marignane, Les Mélancolies de Sade, évoque les dernières années de la vie de Sade, emprisonné dans une cellule qui n’est pas celle de Charenton mais la représentation métaphorique de celles qu’il a occupées dans sa vie. C’est autour du rêve de Sade, qui se sent appelé par le fantôme de la Laure de Pétrarque, que se construit l’introspection parfois douloureuse, parfois lumineuse de l’écrivain. Le réalisateur nous donne à entendre la voix de Sade, à travers des extraits de lettres ou de textes, imagine l’impossible rencontre avec Rousseau, évoque avec nostalgie les amours avec Renée-Pélagie de Montreuil et Anne-Prospère de Launay. Tourné au château de Saumane, le film ramène Sade chez lui, dans ce lieu originel qu’il a tant aimé. Cocteau et Bunuel ne sont pas bien loin … (Geneviève Goubier, Présidente de la Société des Études Sadiennes).
Nous rentrâmes, j’étais dans un état qui ne peut se peindre, il me semblait que tous les désordres … Tous les vices … S’armaient à la fois pour venir débaucher mon cœur; je me sentais dans une espèce d’ivresse … Dans une sorte de rage; il n’était rien que je n’eusse fait, aucune luxure dont je ne me fusse souillée. J’étais désolée de n’avoir atteint qu’une si petite portion de l’humanité, j’aurais voulu que la nature entière eut pu se ressentir des égarements de ma tête; je fus me jeter nue sur le sofa d’un de mes boudoirs, et j’ordonnai à Elvire de m’amener tous mes hommes, en leur recommandant de faire de moi tout ce qu’ils voudraient, pourvu qu’ils m’invectivassent et me traitassent comme une putain. Je fus maniée, pelotée, battue, souffletée; mon con, mon cul, mon sein, ma bouche, tout servit; je désirais d’avoir vingt autels de plus à présenter à leur offrande. Quelques-uns amenèrent des camarades que je ne connaissais pas, je ne refusai rien, je me rendis la coquine de tous, et je perdis des torrents de foutre, au milieu de toutes ces luxures. Un de ces grossiers libertins … Je leur avais tout permis … S’avise de dire que ce n’était pas sur des canapés qu’il voulait me foutre, mais dans la fange … Je me laisse traîner par lui sur un tas de fumier, et me prostituant là comme une truie, je l’excite à m’humilier davantage encore. Le vilain le fait, et ne me quitte qu’après m’avoir chié sur le visage.
Plus je me vautrais dans l’ordure et dans l’infamie, plus ma tête s’embrasait de luxure, et plus augmentait mon délire. En moins de deux heures je fus foutue plus de vingt coups, pendant qu’Elvire me branlait toujours … Et rien … Non rien n’apaisait l’état cruel où me plongeait l’idée du crime que je venais de commettre. Remontée dans mon boudoir, nous apercevons l’atmosphère éclaircie. Oh madame, me dit Elvire, en ouvrant une fenêtre … Regardez donc… Le feu … Le feu où nous avons été ce matin … Et je tombe presque évanouie … Restée seule avec cette belle fille, je la conjure de me branler encore … Sortons, lui dis-je … Je crois que j’entends des cris; allons savourer ce délicieux spectacle … Elvire, il est mon ouvrage, viens t’en rassasier avec moi … Il faut que je voie tout, il faut que j’entende tout, je ne veux pas que rien m’échappe.

Un des manuscrits des Cent Vingt Journées
Nous sortons… Toutes deux échevelées, froissées, enivrées; nous ressemblions à des bacchantes. À vingt pas de cette scène d’horreur, derrière un petit tertre qui nous déguisait aux regards des autres, sans nous empêcher de rien voir, je retombe dans les bras d’Elvire presque autant agitée que moi: nous nous branlons à la lueur des flammes homicides qu’allumait ma férocité … Aux cris aigus du malheur et du désespoir que faisait pousser ma luxure, j’étais la plus heureuse des femmes. Nous nous levons enfin pour analyser mon forfait: je vois avec douleur que deux victimes se sont échappées; je reconnais les autres cadavres, je les retourne avec le pied: ces individus vivaient ce matin … J’ai tout détruit en quelques heures … Tout cela pour perdre mon foutre … Cette petite révolte de mon esprit contre mon cœur commotionna vivement les globules électriques de mes nerfs, et mon con mouille encore une fois les doigts de ma tribade. Si j’avais été toute seule, je ne sais pas d’honneur jusqu’où j’aurais porté les effets de mon dérèglement. Aussi cruelle que les caraïbes, j’aurais dévoré mes victimes; elles étaient là … Jonchées: le père et l’un de ses enfants s’étaient seuls échappés; la mère et les sept autres étaient sous mes yeux; et je me disais, en les observant … En les touchant même … C’est moi qui viens de consommer ces meurtres; ils sont mon unique ouvrage! Et je déchargeais encore.

La belle-sœur de Sade, Anne Prospère de Launay, âgée de 17 ans, rencontre le marquis alors qu’elle se destine à la vie monacale. Le coup de foudre est immédiat.
Tout ce qu’écrit Sade est amour, écrivit Gilbert Lély. Qu’est-ce qui lui permettait d’ajouter que cette œuvre redoutable et qui a tant effrayé est sortie d’une tête orphique, que tel épisode des Cent vingt journées de Sodome est un des avatars convulsifs de l’idéalisme humain? C’est cette liberté jamais égalée de la parole, ce franchissement des limites de l’imagination et de l’expression: car alors à nouveau les fontaines du monde coulent, le devenir reprend, l’être brille. Une telle audace, qui prend de court le réel, l’oblige à renoncer à ses formes stables, et rend la vie à ce qu’ensuite, ensuite seulement, on pourra traiter avec amour.