Trinité suressentielle qui es au-delà du divin, au-delà du Bien, Toi qui gardes les chrétiens dans la connaissance des choses divines, conduis-nous, par-delà l’inconnaissance, vers les très hautes et très lumineuses cimes des écritures mystérieuses. Là se trouvent voilés les simples, insolubles et immuables mystères de la théologie, dans la translumineuse Ténèbre du Silence, où l’on est initié aux secrets de cette radieuse et resplendissante Ténèbre, en sa totale obscurité, absolument intangible et invisible, Ténèbre qui comble d’indicibles splendeurs les intelligences qui savent clore leurs yeux.
Telle est donc ma prière. Quant à toi, mon cher Timothée, exerce-toi sans relâche aux contemplations mystiques, abandonne toutes sensations et jusqu’aux spéculations de l’intelligence, laisse tout le sensible, tout l’intelligible, tout l’être et le non-être; ainsi, autant que tu en es capable, tu seras surélevé par la voie de l’inconnaissance jusqu’à ne plus faire qu’un avec Celui qui est au-delà de toute essence et de toute connaissance.
C’est bien en ce sens que le divin Barthélemy disait que la théologie est à la fois développée et brève, l’évangile spacieux et grand, mais néanmoins concis. C’est là, me semble-t-il, une réflexion remarquable car, si l’on ne peut tarir un discours au sujet de la Cause bienfaisante de tout ce qui existe, on peut aussi bien l’exprimer brièvement et même n’en rien dire du tout: elle n’a en effet ni parole ni pensée, elle transcende de manière suressentielle tout le créé et ne se manifeste véritablement et sans voile qu’à ceux-là seuls qui franchissent tout ce qui est pur et impur, qui dépassent toutes les plus hautes et plus saintes ascensions, qui abandonnent toutes les lumières divines, et les sons et les paroles du ciel, pour pénétrer dans la Ténèbre de Celui qui est réellement, selon les écritures, l’au-delà de tout.
Comment figurer les Ténèbres? A la suite du Parménide Damascius résuma la difficulté: le fait est qu’il y a affirmation par la pensée humaine (est-ce une pensée?) d’un principe absolu, transcendant toutes choses. Ce principe ne peut être hors du tout, car il n’aurait plus alors aucun rapport avec le tout; et il ne peut être non plus avec le tout, car il ne pourrait plus être principe, étant confondu avec son effet.
Plotin considérait que, si on ne peut penser le principe, on peut pourtant en parler, de façon oblique, par le mythe. Pour Damascius on ne peut parler du principe; on peut seulement dire (et on le doit) que l’on ne peut rien en dire. Comment?
En chantant des psaumes devant cette Matrice qui contient la Cause qui la créera, stupéfiant la Nature, comme dit l’Hymne Acathiste.
Qu’est-ce que cette matrice? Une femme (et non La Femme, qui n’existe évidemment pas), qui a un nom propre, qui est donc unique entre toutes les femmes, comme chacune, dénouera ainsi la dirimante contradiction entre le Principe, qui est au-delà de tout, donc aussi bien de l’Être que du Néant, et la notion de Création, nécessaire pour affirmer la Nature sans l’adorer.

Rocamadour
Une femme reconduit ainsi l’âme auprès de son origine, de sa source, de son fond.
Son fond sans fond. Là se tiennent les Vierges Noires! On les rencontre en Extrême Occident, du 9éme au 12éme siècle, puis elles ne se manifestent que de loin en loin, à la campagne, près d’une source. Des pêcheurs en remontent encore une dans leurs filets, du fond d’un fleuve brésilien, au 18éme siècle: là où est maintenant le plus grand et le plus méconnu des sanctuaires mariaux dans le monde, Notre Dame Apparue.
Elles ne sont pas faites de main d’homme, elles viennent d’ailleurs, Orient lointain, ou passé immémorial, elles semblent surgir d’elles-mêmes devant le découvreur, habitent les cryptes, les grottes … Leur Noir n’est pas une couleur, ni un mélange, ni une absence, il est éclatant, lumineuses ténèbres: materia prima, Substance aristotélicienne -toujours en-deça de ce qu’on peut en dire et en penser, conformément à son étymologie!- fluctuations du Vide quantique, semé d’étoiles.
Comment prier la Reine du Ciel? Dans cette Très Lumineuse Ténèbre puissions nous entrer nous-mêmes. Comme la Raison kantienne, la Via Negativa est pratique en son fond. Maître Eckhart dut batailler pour faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’adorer le néant. Son dessein premier, prêcher la naissance de Dieu dans l’âme, fut bien de prêcher la mort, non pas de l’âme, comme ses ennemis le lui reprochèrent, mais de l’intellect. Sancta simplicitas. Les analogies et différences avec le bouddhisme zen ont été souvent soulignées.

A chaque époque sa Ténèbre.
Ainsi la Via Negativa a une histoire -le travail d’Alain de Libera est d’une absolue nécessité! Et d’un autre côté, contradiction qu’il va te falloir résoudre, Damascius, Plotin, Blanchot, Heidegger, Hillesum, Hadewijch, Descartes et Kant, tous ténébristes, sont nos contemporains immédiats.