En d’autres termes, le vivant est par essence multiple: la vie est synonyme de biodiversité
La création sonore de l’artiste Bernie Krause, Le Grand Orchestre animal (Paris, Flammarion, 2013), rend sensible le paysage comme variation et enchevêtrement de lignes mélodiques. Bernie Krause a enregistré sur plus d’un demi-siècle 4 500 heures des sons de plus de 15 000 animaux marins ou terrestres. Chaque enregistrement sonore constitue un paysage mouvant, composé par l’enchevêtrement des lignes mélodiques de la multiplicité des êtres qui composent le paysage. Ainsi, les bruits du vent, de l’eau, des mouvements du sol, de la pluie exercent une influence sur les sons émis par les animaux mais aussi sur le chœur qu’ils forment dans leur habitat.
Les éléments vrais de l’Être doivent être non pas accidentels, mais essentiels; et voilà pourquoi nous, aussi bien que nos devanciers, nous essayons de découvrir les éléments de l’Être en tant qu’Être.
Aristote, Métaphysique, livre Delta
Les êtres vivants sensibles à ces sons ont dû se doter d’une fréquence permettant à leur souffle, à leurs claquements, sifflements, rugissements, chants ou autres vocalises de se singulariser en se détachant des autres.
Les lignes mélodiques se déploient comme autant de lignes de temps s’interpénétrant les unes les autres, chacune porteuse d’une profondeur temporelle singulière. Entre les lignes se donne à sentir une dimension immémoriale, qu’il s’agit moins de penser comme un temps originel que comme un espacement mouvant, un écart inobjectivable à partir duquel une advenue et une transformation sont rendues possibles.
Cette approche permet de dépasser la double idée selon laquelle 1. L’animal serait fixé dans un instinct mécanique 2. Chaque animal serait réductible à un monde propre (composé d’un ensemble fini de stimuli), pour au contraire montrer que les modes d’apparaître des animaux se transforment les uns par rapport aux autres et écrivent le paysage dans et à travers leurs enchevêtrements et rencontres.
L’installation de Bernie Krause montre aussi à quel point le développement de la société moderne (industrielle et technologique) a appauvri l’amplitude sonore des paysages. Près de 50 % des sons enregistrés depuis les années 1960 ont disparu de la surface de la Terre, chassés par la cacophonie des sociétés humaines.
En d’autres termes encore, l’Être n’est pas muet et il a une histoire