Du côté du récit biblique pris dans toute son extension, nous avons déjà reconnu que celui qui est l’origine est à la fois Père de l’Unique nouveau et créateur du Tout. Et cette dualité de fonction s’exprime précisément dans le récit biblique. Le récit relie dans leur ordre de succession l’ancien avec le nouveau et rassemble le multiple sur convocation de l’unique. En fait, le concept de création détient l’énergie de la transformation narrative qui se déploie dans la Bible et ceci à cause de sa richesse contrastée. Car le fil qui nous permet de traverser la Bible d’une extrémité à l’autre narrativement, c’est celui qui nous conduit de la première à la deuxième création. Être à la fois premier et deuxième, là réside la force de l’acte créateur et la richesse de son concept.
C’est que la création, acte divin, met Dieu en relation avec ce qui n’est pas Dieu. En elle, un acte éternel se mesure au temps, comme le montre en toute franchise le récit des sept jours (ou six) de la création, étalant l’acte créateur sur une durée comptable et rythmée. Cette formule peut légitimement valoir comme matrice du récit biblique pris en totalité, puisque la première semaine symbolise l’ensemble du temps: ce n’est pas sans raison qu’à travers l’histoire plusieurs interprètes y ont vu la maquette de tout le récit biblique.
La distinction entre origine et commencement apparaît notamment dans le fait que le commencement a une fin, alors que l’origine n’en a pas. En se distinguant du commencement, au contraire, le nouveau montre qu’il a besoin du temps.
Le nouveau prend nécessairement son temps. Le temps de passer de l’ancien au nouveau, c’est le temps du récit.
Cet ancien qui est pluriel, est représenté sous la forme de la totalité de dispersion du chaos primitif, qui est aussi totalité de confusion. En manifestant sa différence absolue d’avec cet absolument ancien, le nouveau a manifesté, du même coup, que l’origine n’est en rien le commencement. Le nouveau final qui s’oppose à l’ancien s’oppose aussi au multiple. Aussi se manifestera-t-il sous forme de l’Un numérique et isolé, de l’élu.
Le message du deuxième Isaïe, rarement égalé pour son universalisme, n’atténue pas pour autant -il s’en faut- le relief qu’il donne à l’élection d’Israël et même à l’élection, au sein d’Israël, d’un Serviteur investi d’une mission envers son peuple, comme envers les Nations. Ce renforcement dans la valorisation de l’unique est même la condition pour que l’autre pôle soit honoré autant qu’il lui est dû. Or, de même que pour se distinguer du commencement ancien, le nouveau a besoin du temps, prend son temps -ainsi pour se distinguer du multiple, l’unique a besoin de lui et de tout son espace. Sur ce registre, il ne nous est permis de ne rien dissimuler de la déficience du nouveau et de l’unique. Certes, l’unicité éternelle n’est pas une déficience, mais l’unicité terrestre ne peut échapper à cet aspect. Cet unique-nouveau paie sa qualité avec ce qui lui manque. Tel est l’anéantissement qu’il accepte. Telle est l’inanition dont la mort en forme d’esclave n’est que le prolongement le plus résolu: il n’est qu’alors, il n’est que là. Pour être celui-ci, il lui faut n’être aucun autre. En se retirant dans la mort, il cède la place à tout être. C’est la faiblesse du verbe incarné en Jésus, sa kénose.
Pyrénées, XIIéme siècle
Dans le n’être qu’ici et n’être que là, se manifeste, de par l’élection, l’unicité de l’origine: Ecoute, Israël, YHWH ton Dieu est YHWH unique. Un universel singulier. Cette exténuation de l’être limité est commune à chaque existant.