Il compta les pierres

On est étrange quand on est perdu, lui dit son père.

Saïd n’entendit pas le reste.

Il ne pouvait pas compter les vagues

Qui l’avaient mené sur l’autre côté

Du détroit de Gibraltar

Alors il déchira sa mémoire,

Laissant derrière lui les lieux d’où il venait,

Et il apprit à prier autrement. Il s’agenouilla au lieu de se prosterner.

Il compta les pierres,

Dessina les piliers de l’église,

Parla toutes les langues sauf la sienne.

Des années plus tard, assis dans une cour, il est saisi par le bruit du vent

Qui sonne presque comme l’appel du muezzin. Il sent une petite flamme le long de son cœur, et il entend la voix de son père

Nous ne sommes rien d’autre qu’une image, le fruit de notre sommeil -comment expliquer notre voyage aux autres?

Il regarde la cour

Où se dressait jadis une mosquée

Et il comprend ce que son père n’avait pas su

Que ce qui est sacré revient toujours.

Nathalie Handal

Antiphonaire mozarabe, IXéme siècle