Traité des confitures et fardements: La nature est pensée comme ne faisant rien en vain ou au hasard. La nature est une raison, est la raison. Être, c’est être digne dans son corps, accompagner le corps d’une constante bonification visant à ne pas laisser abîmer ou altérer l’image de Dieu qu’est l’être humain. C’est demeurer sa vie durant dans la raison de la Création. Le paraître de l’être parle de son être, il est son être, d’où la nécessité d’un recouvrement, d’un additif, et le fard n’est pas que stratégie de dissimulation des effets naturels du vieillissement. Il est ce qui permet à la vérité de l’être de persévérer en sa plénitude et en sa conformité avec l’âme du monde. Le vrai n’existe que dans un rapport dialectique entre le visible et l’invisible. D’où une logique implacable: être dans le vrai, c’est être dans ce qui cache, dissimule, dans l’énigme, dans le sens absent.
Par son fils César, vers 1610
Pour être, il est nécessaire d’être caché, de se cacher. La fonction du recouvrement, donc du discours en énigme, est de dire le vrai. Le vrai se fait dans l’apparence, dans ce qui recouvre. Entre l’apologie du fardement et la mise en valeur du langage hiéroglyphique, il y a continuité. Parce qu’il y a une épistémè de la raison au cœur de la Création et que l’homme doit s’initier à cette raison distribuée par Dieu, communier en quelque sorte avec elle pour découvrir ainsi ce qu’est sa vérité propre. Et si l’on poursuit l’analyse de ce texte dans le sens d’une cryptique du rapport au vrai et à la Vérité, il est évident que le second livre, qui est voué à l’art de l’élaboration des confitures, va dans la même direction; à cette différence que l’écriture vise l’intériorité et cherche à donner un sens à l’intériorité, qui doit se nourrir et se soigner par la connaissance de recettes dans lesquelles le sucre est l’ingrédient premier. Et les fruits de la nature sont essentiels.
La confiture, sur la base de l’utilisation du sucre, est une transformation des fruits, une bonification puisqu’elle leur donne, grâce au sucre, une vertu thérapeutique. Transformer l’être, c’est alors positiver l’être, donner à travers les confitures le paradigme de la transmutation comme la métaphore de l’adhésion à l’âme du monde. Et peut-être ici percerait une constante nostradamienne: transformer le langage, rompre avec l’ordre accoutumé des mots, briser les obédiences grammaticales, ne revient-il pas à glisser dans une thérapie de l’âme?
Le Traité des confitures propose une sémiologie naturelle permettant à l’être humain, à travers son corps, de soigner son âme. Le sucre, sur la base de la cuisson des fruits et des épices, est une métaphore fonctionnant un peu comme le pantagruélion chez Rabelais, et Nostradamus le laisse entendre lorsqu’il signale à son lecteur que si quelqu’un a parfaite intelligence de sçavoir cognoistre la maistrise de bien et deuement gouverner le sucre, il mettra tous fruitz en parfaite confiture.
Dans le Poème dédié au procureur du parlement d’Aix Jean de Nostredame, Nostradamus établit d’emblée les raisons de son projet: on y retrouve le concept de conservation en une perpétuelle duration, appliqué cette fois-ci aux fruits de la nature. C’est la cuisson qui les préserve de la corruption et leur donne une savoureuse douceur.
Hendrick Van Steenwyck le Vieux, L’Ange dans le couloir
Certes, les recettes sont très détaillées et complexes, mais la sémiologie naturelle de Nostradamus appelle le lecteur à se poser la question du sens: ce qui est l’objet de la fabrication, de la transformation, la confiture, dans toutes ses variantes qui impliquent une science certaine, ne dissimule-t-elle pas un discours sur la fabrication de soi, sur l’intériorité? N’est-elle pas le langage d’un parcours intérieur échappant à la vue des quidams, une transformation de l’être qui se dissimule derrière la métaphore de la cuisson.