On n’en a jamais fini avec la dette: elle n’est pas remboursable, elle n’est pas un dispositif “économique”, mais une technique pour gérer les comportements

La finance transforme les droits sociaux en crédits, et en assurances individuelles. Les politiques néo-libérales ne veulent pas d’augmentations de salaire directes ou, surtout peut-être, indirectes (comme de meilleures retraites financées collectivement), mais elles incitent au crédit à la consommation et à la rente boursière (fonds de pension, assurances privées et individuelles). Elles répugnent au droit au logement, mais favorisent les crédits immobiliers. Le salarié et l’usager de la sécurité sociale doivent gagner et dépenser le moins possible pour réduire le coût du travail et celui de la sécurité sociale. En parallèle, le consommateur doit dépenser le plus possible pour écouler la production.

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L’auteur de la Généalogie de la Morale, un grand livre rigoureux sur le capitalisme financier

Dans une perspective de dé-prolétarisation (construction de petites unités de production, aides à l’accession à la propriété de son logement, actionnariat populaire, etc.), la visée néo-libérale est toujours la même: un salarié capitaliste n’est plus un prolétaire. Se confronter à des subjectivités qui considèrent les retraites, la formation, etc., comme des droits collectifs garantis et reconnus par la société, ce n’est pas la même chose que gouverner des débiteurs propriétaires.

L’argent, la circulation de l’argent, c’est le moyen de rendre la dette infinie … Le créancier infini, la créance infinie a remplacé les blocs de dette mobiles et finis … La dette devient dette d’existence, dette d’existence des sujets eux-mêmes. Vient le temps où le créancier n’a pas encore prêté tandis que le débiteur n’arrête pas de rendre, car rendre est un devoir, mais prêter une faculté (Deleuze et Guattari, L’Anti-Œdipe).

D’une part, le capitalisme contemporain encourage les individus à s’endetter (aux États-Unis, où l’épargne est négative, on contracte tous types de crédits: à la consommation, pour acheter une maison, poursuivre ses études, etc.), en ôtant à l’endettement moléculaire toute charge culpabilisante. D’autre part, il culpabilise les mêmes individus en tant que responsables des déficits molaires (de la sécurité sociale, de l’assurance maladie, de l’assurance-chômage, etc.), qu’ils doivent s’engager à combler.
Cette incitation à contracter des crédits mêlée à cette obligation à faire des sacrifices pour réduire le trop des dépenses sociales ne sont pas contradictoires, puisqu’il s’agit d’installer les gouvernés dans un système de dette infinie.
On n’en a jamais fini avec la dette: elle n’est pas remboursable, elle n’est pas d’abord un dispositif économique, mais une technique pour réduire l’incertitude du temps et gérer les comportements des gouvernés.

En dressant les gouvernés à promettre (à honorer leur crédit), le capitalisme dispose à l’avance de l’avenir puisque les obligations de la dette permettent de prévoir, de calculer, de mesurer, d’établir des équivalences entre les comportements actuels et les comportements à venir.