C’est la manière dont est présentée ou représentée l’espérance qui importe aux citoyens de la terre, de même que la meilleure représentation du progrès est celle qui constitue par elle-même une condition de sa réalisation.
Le choix de Kant en faveur du progrès ne témoigne d’aucun optimisme; s’il fait bien du progrès l’horizon le plus souhaitable de la civilisation, en dépit des maux qu’elle multiplie, c’est pour l’opposer à une tentation plus pernicieuse, la tentation de désespérer de l’évolution humaine. Cette tentation-là est un obstacle aux droits des hommes; elle s’appuie sur un historisme catastrophiste pour donner au moralisme despotique une apparence de légitimité.
Les religions donnent aux ressources subjectives de la croyance une signification empirique, une réalisation mondaine en quelque sorte, quand elles se donnent une réalisation institutionnelle analogue à celle d’une communauté politique. Il faut un chef suprême, un peuple qui obéit, des juges qui condamnent ou pardonnent. Lorsque ces fonctions ne sont au service que de la survie institutionnelle d’une Église, ou de la force particulière d’un peuple, la foi n’est plus morale, mais anthropomorphique et servile. Les théologiens, en tant qu’ils sont des savants, des exégètes érudits, contribuent à cette altération quand ils substituent le savoir à la foi, et conditionnent la croyance par la peur de l’au-delà.
Il y a là une appropriation, de type politique, des symboles de l’espérance. Le procédé en a été analysé dans la Typique: il suffit de traiter un symbole comme un schème. L’hypotypose schématique a pour effet de limiter la signification d’un concept à une expérience; il est possible de physicaliser les symboles de la foi dans la forme d’une institution. L’hypotypose symbolique, au contraire, supprime les restrictions sensibles de la signification, elle donne à penser ce qui n’est pas objet de savoir, mais à quoi peut s’associer la croyance. Le malentendu sur les raisons d’espérer peut être évité si l’on reconnaît que la foi qui se veut moralement pure est le ressort ultime de la demande symbolique.
Il est possible de restaurer ce que Kant nomme l’animation des facultés de l’âme contre l’inertie de l’asservissement: par la régénération du pouvoir symbolique, qui rétablit, contre toute croyance passive ou dominée, l’antériorité au faire par rapport au savoir.
Que le symbolisme soit anthomomorphique ne le condamne nullement à la logique de l’appropriation par voie de domination. Tout au contraire, le symbole libère du pouvoir escompté de ses réductions ou de ses schématisations théoriques: Nous permettons un anthropomorphisme symbolique qui concerne en fait le langage, et non l’objet lui-même (Prolégomènes, § 57).
L’élément du langage rapporte le symbole, non à une chose, mais à une Idée. De sorte que la philosophie transcendantale permet de comprendre les Idées comme les moyens d’une désappropriation symbolique, ou d’une désaliénation symbolique: elles confèrent aux symboles un pouvoir de signifier qui excède toute interprétation dominante.
Kant ne procède-t-il pas de la même façon, en matière politique, lorsqu’il rapporte à l’Idée du droit, et non à la particularité des circonstances et des acteurs, la signification universelle que le public européen a pu reconnaître à la Révolution française, et ce, par une sympathie désintéressée qui ne considérait, dans l’événement, que le principe d’un progrès possible des institutions?
Sur le plan des croyances, les symboles religieux sont conçus comme les moyens d’une communication publique possible de l’intériorité. La croyance peut être regardée comme l’expression d’une pure foi morale et, à ce titre, comme la propension à dépasser la foi statutaire en se délivrant de ses conditionnements empiriques.
Monique Castillo, Kant
Elsheimer, nymphe fuyant, huile sur cuivre