I Le Seigneur de l’Orage et la Dame des Sources

Ishtar mêlée d’Atargatis

Beaucoup de récits évoquent des sta­tues agissantes. Ainsi, à Sparte, la statue d’Artémis Orthia, qui est petite et légère, devient tout à coup lourde au point que la prétresse ne peut plus la porter, lorsqu’un rite essentiel de son culte, celui de la flagellation des éphèbes, n’a pas été accompli de façon satisfaisante: les bourreaux ont un peu trop épargné les victimes. La statue est identifiée à une déesse qui aime le sang des hommes.

Une statue d’Hermès, en Achaïe, écoute les prières et répond aux interrogations. Qui­conque veut la consulter doit venir le soir auprès d’elle, brûler de l’encens, allumer des lampes et déposer une monnaie; il pose alors sa question à l’oreille du dieu, puis il quitte l’agora en se bouchant les oreilles; lorsqu’il enlève ses mains de ses oreilles, la première voix qu’il entend est la réponse oraculaire. Ici encore, l’identification du dieu à son image est complète. La Souda évoque un sage nommé Héraïskos, théologien et initié à tous les mystères, qui aurait eu le don de distinguer, parmi les statues sacrées, celles qui sont vivantes et celles qui ne le sont pas: lorsqu’il les regardait, son propre corps se mettait à vibrer, si la statue était animée de la vie divine. Cette histoire étrange et belle conforte l’idée, bien répandue, d’une vie présente dans les images.

Un texte essentiel sur les statues animées est celui de l’auteur du traité Sur la déesse syrienne. Le temple décrit dans le traité était situé dans la ville de Bambykè, en syriaque Mabog, au Nord Est d’Alep, refondée et rebaptisée Hiérapolis par Séleucos Nicator; il était consacré aux deux grandes divinités de la région, dont le culte était pratiqué depuis le Ier millénaire et probablement plus tôt.

Ces dieux, Hadad, dieu de l’orage, et Atargatis, dame des eaux et des sources, sont désignés dans le traité sous les noms de leurs équivalents grecs, Zeus et Héra, mais en fait, plutôt que d’Héra, la déesse apparaît proche de déesses de la ferti­lité-fécondité comme Aphrodite, voire de la vie sauvage comme Cybèle. La statue de la déesse a deux particularités: dans sa couronne, il y a une pierre précieuse dont l’éclat illumine le temple la nuit tandis que le jour il s’affaiblit; et surtout, si, debout, tu regardes en face [la statue], elle te regarde, et son regard t’accompagne si tu changes de place: pour l’auteur du traité c’est sans aucun doute un signe de la vie qui l’anime. Dès le début de sa description du temple de Hiérapolis, il a noté qu’il renferme des dieux qui s’y manifestent ostensiblement; ici, en effet, les statues se couvrent de sueur, se meuvent et rendent des oracles; souvent aussi, le sanctuaire étant fermé, un grand cri est perçu dans le temple, beaucoup l’ont entendu.

Giotto, Marie-Madeleine

Dans une autre vie, dans un autre monde, le même, Marie-Madeleine a été Atargatis

Un procédé destiné à faire parler un dieu par l’intermédiaire de son image paraît avoir été assez répandu: il consistait à faire passer dans une cavité percée dans le dos d’une statue un tuyau par lequel un assistant posté derrière la statue, ou éventuellement dans une pièce voisine, pouvait faire entendre la voix du dieu. Ce type de trucage est visible sur un buste en calcaire de Rê-Harmakhis , d’époque romaine, conservé au Musée du Caire. Le dieu est représenté vêtu d’une tunique et d’un man­teau, sa tête de faucon porte une couronne de feuilles de chêne et un petit pschent, elle est entourée d’un nimbe radié qui souligne son caractère solaire. Une cavité ovale, dans le dos, à hauteur de la nuque, communique par un petit canal avec un orifice percé sous l’oreille droite du dieu. Un texte de Théodoret affirme qu’il y aurait eu beaucoup de statues de ce type à Alexandrie; un dispositif analogue peut même être constaté sur un buste d’Épicure  conservé à Copenhague! D’autres types d’animation d’une image sont connus. Une statuette égyp­tienne de la déesse hippopotame Touéris, une déesse mère et nourricière, conservée au Musée de Berlin, comportait une cavité interne qu’on pouvait rem­plir de lait, lequel s’écoulait par un petit orifice percé au niveau d’un sein.

C’est d’un auteur païen que vient la dénon­ciation la plus forte de ce qu’il considère bel et bien comme une imposture: le traité de Lucien sur Alexandre d’Abonoteichos, le faux prophète.

A suivre …