Elles reposent en réalité sur des choix politiques tacites qu’il peut être intéressant d’expliciter.
La pédagogie se veut ici centrée sur des objectifs concrets: les compétences que doivent acquérir les élèves. Ces compétences doivent pouvoir se manifester: par des comportements, et/ou des réponses à des questions. Comportements et réponses qu’on doit pouvoir observer et mesurer. L’objectif est défini quand la capacité est isolable et le comportement caractéristique. Il a fallu d’abord décomposer les objectifs, puis les ordonner.
L’enseignement et son évaluation ne deviennent donc scientifiques qu’atomisés en une somme de procédures parcellaires. Cette conception repose sur la psychologie du comportement. Psychologie de la réaction: à une situation donnée, elle même définie selon la méthode de décomposition évoquée, ce qui est déjà un coup de force déguisé en évaluation, est censé répondre un comportement.
Mais quel est le sens de ce comportement? (Fuir, se battre, obéir, faire brûler une voiture … ). Cette question est évacuée, car elle mettrait en jeu la notion de finalité. Or n’a de finalité que ce qui été construit par l’homme à son usage. La finalité dépend de la subjectivité, du choix; le psychologue doit mettre entre parenthèses le sens du comportement, pour rester objectif. Bref, la psychologie, définie comme une théorie de l’habileté, n’est scientifique que d’évacuer toute référence à l’homme considéré comme fin, ou se proposant consciemment des fins.
Les sciences de l’éducation, ou les théories de l’Information, qui sont construites sur cette psychologie, définissent l’enseignement comme un contrôle de conformité. Mais chercher, puis mesurer la coïncidence entre les prestations qu’on attendait et celles qui sont fournies par l’élève n’appartient pas à l’éducation humaine. Le meilleur peut très bien être l’inattendu. La compréhension d’une question historique par exemple, n’est pas réductible à une somme de procédures, sauf à supposer que l’Histoire est terminée, ce qui est d’ailleurs le désir qui a rendu possible le pédagogisme et qui l’anime.
La grâce d’une danseuse est d’un autre ordre que la somme quantitative de ses savoir faire; non pas pour des raisons mystiques, ou par ce que la grâce serait réservée à ceux et celles qui sont bien nés (seule possibilité laissée ouverte par les sciences de l’Éducation, par ailleurs si progressistes … ), mais par ce que dans l’ordre du vivant le tout est plus complexe que les parties. Parce que l’organisation est auto-organisation. Parce que le temps n’est pas le déroulement d’une objectivité déjà dans les choses … -pré-kantien, le pédagogisme.
Apprendre n’est pas informer, renseigner ou se renseigner. Le savoir n’est pas une somme d’informations, recueillies au hasard des expériences ou grâce à la bonté de ceux qui savent. Une information n’est une connaissance que si nous pouvons nous mêmes mettre en œuvre la méthode qui permet de l’établir et de la comprendre. Les techniques de communication des savoirs ne peuvent fournir d’équivalent de l’intelligence: l’intelligence s’éduque, mais ne relève pas d’un dressage. La seule fin de l’éducation est la liberté de l’esprit.
Jean-Michel Muglioni
La Belle Personne