Guy nous manque

Pour devenir les néo-bourgeois des années 1980, les maos-gauchos-contestos crachant sur leur passé ont profité de l’hypocrisie nationale que fut le pouvoir socialiste. Sous lui, ils s’installèrent dans tous les fromages. Plus que personne, ils s’en goinfrèrent. Deux reniements ainsi se sont alliés: celui des ex de Mai 68 devenus conseillers ministériels, patrons de choc ou nouveaux guerriers en chambre, et celui du socialisme passé plus à droite que la droite. Votre apostasie servit d’aiguillon à celle de la gauche officielle. Mai 1968-mai 1986: vos carrières ont atteint leur majorité. Le moment est venu d’en faire le bilan …

French Author Guy Hocquenghem

Avec René Schérer en 1987, photographie de Sophie Bassouls

Vous vous reconvertirez sans peine, je vous fais confiance. Libération, cette Pravda des nouveaux bourgeois, saura aussi bien câliner les nouveaux gouvernements que l’ancien; l’important, pour vous, n’est pas d’être de droite ou de gauche, mais d’être du côté du manche.

On ne tire pas sur une ambulance, mais on autopsie un cadavre. Pour disséquer la dictature défunte des opportunismes conjugués, entre Fabius et ex-maos, qui nous a gouvernés depuis cinq ans, j’ai patienté jusqu’à la fin de la comédie. Pour éviter de participer à la redistribution des cartes, évidente depuis des mois, j’ai préféré attendre qu’elle soit accomplie. Je ne voulais entrer en aucune querelle politicienne, ni aider, si peu que ce fût, à un retour des droitistes. Les alternances politiques m’indiffèrent. Ce qui est en question ici ne s’y ramène pas. Ce serait plutôt une question de génération.

Une génération … qui inaugure la rencontre entre la gauche et le capitalisme, entre la technologie et le rêve, entre le business et la création, comme l’écrivait un de vos journaux subventionnés (Globe). Individualisme et réussite … Responsabilité de génération, fanfaronne de son côté Actuel.

… Si je ne fais pas de procès politique, c’est parce que j’ai trop bien connu, à mes dépens, les procès politiques menés au nom du Prolétariat et de la Cause du peuple. Je n’ai jamais cru à la ligne juste; toujours trop à gauche, ou trop à droite, toujours suspect d’esthétisme fascisant, j’étais, cher enfant, trotsko-surréaliste quand eux étaient stalino-althussériens, anarchiste spontanéiste quand ils étaient maoïstes d’acier. Je sais, c’est du passé, et peu importent ces vieilles étiquettes. Elles veulent tout de même dire ceci: mon arme, c’est le style libertaire dans l’action et la réflexion, qui s’éloigne nécessairement, pour moi, de la politicaille renégate comme de l’esthétisme rétro (voir L’Âme atomique, en collaboration avec René Schérer, pour ceux qui veulent vraiment savoir d’où je parle philosophiquement). Les procès, les exclusions, je connais, je me les suis tous tapés.

Exclu de chez les trotskistes, les maos me cassaient la gueule; des procès, tiens, en 1978 on m’en fit encore un, très officiel, à Libé, pour avoir écrit un papier dans Le Figaro-Magazine (où je racontais l’extermination des homosexuels en camps nazis). Alain Finkielkraut et Julien Brunn, dans des livres que tu n’as pas lus et qu’on a déjà oubliés, m’ont traité longuement d’antisémite agent de la nouvelle droite.

Guy Hocquenghem

Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary