Les Rois des Iles Lointaines sont venus avec de l’or, de l’encens et de la myrrhe …

Les Rois Mages

Cet épisode de l’Évangile, tout le monde le connaît. Il a enchanté notre enfance. Cette histoire de mages a des accents de conte oriental. Mais pour ma part, je préfère l’aborder, non pas à partir de ce qu’il a de magique, mais de ce qu’il a de scandaleux.

Le Second Rêve des trois rois, Cathédrale d’Autun.

Cet épisode prend place après la visite des rois Mages à Marie et à Jésus, et avant la fuite en Égypte. Hérode prépare le massacre des Innocents. Les mages sont avertis en songe de ne pas retourner à Jérusalem. Ils regagnèrent leur pays par un autre chemin (Matthieu, II, 12).

Car qui sont ces mages? La légende en a fait des rois, mais ils ne le sont pas. La tradition nous a fait croire qu’ils étaient trois, mais l’Évangile ne le dit pas. Ce sont des mages venus d’Orient. L’historien grec, Hérodote, nomme mages les membres d’une tribu persane, une caste sacerdotale spécialisée en sciences occultes: divination, astrologie, sorcellerie. Bref, des gens qui pratiquent ce que le judaïsme a en horreur, si l’on en croit ce qui est écrit dans le livre du Deutéronome:

On ne trouvera chez toi personne qui scrute les présages ou pratique astrologie, incantation, enchantement, personne qui use de magie, interroge les spectres et les esprits … Quiconque fait cela est en abomination pour le Seigneur.

En dépit de cet avertissement, tout se passe autrement. Le Dieu d’Israël accepte de se faire connaître grâce à un genre de savoir qu’il réprouve, de se révéler à des païens idolâtres.

L’Église a envoyé des missionnaires pour annoncer l’Évangile du Christ. Mais le récit des mages illustre la démarche inverse: ces mages qui représentent tous les peuples de la terre, ce sont eux qui s’en vont à la rencontre du Christ en empruntant le chemin de leur savoir, de leurs croyances -pas très catholiques- en se fiant à l’étoile de leur espérance.

Les rois de Tarsis et des îles amèneront des offrandes … Tous les rois se prosterneront devant lui, toutes les nations le serviront (Psaumes 72, 10-11)

Ce sont des hommes en quête de sens, comme on dit aujourd’hui, des hommes en recherche qui ne se satisfont pas de leurs traditions -les sorciers sont créatifs!- comme il en est tant dans la société d’aujourd’hui. Ils nous prennent à revers, si j’ose dire. Ils nous signifient que le Christ que nous voudrions faire connaître à tous nous a précédés, qu’il est déjà là au cœur même de leur sagesse et de leur désir d’absolu.

Chaman Bouriate

Les mages, ces hommes venus des lointains, partis à la recherche d’un Dieu inconnu et inimaginable nous invitent à prendre en considération tant d’hommes et de femmes qui nous sont éloignés par la géographie, la culture et la religion, qui n’appartiennent ni à notre foi ni à notre Église. Leurs interrogations et leur réflexion, leur recherche spirituelle, artistique, philosophique sont des chemins qui mènent mystérieusement au Christ, non pas le Christ étriqué que nous voudrions enfermer jalousement dans notre catholicisme mais le Christ stellaire -attesté par tous ceux qui, étrangers à notre tradition spirituelle, savent tirer de leurs coffrets, l’or, l’encens et la myrrhe: ceux qui travaillent au partage des richesses économiques de la planète (l’or), ceux qui contribuent à l’élévation spirituelle de la vie humaine (l’encens), ceux qui reconnaissent dans l’homme le plus obscur un être unique et sacré, marqué d’une onction royale (la myrrhe).

Homélie de Robert Scholtus pour l’Épiphanie 2025