La vérité parle sans qu’on le veuille, par le rêve, le lapsus, la maladie. C’est quand on prend l’inconscient pour un autre moi caché dans le premier, un génie manipulateur, qu’on peut l’opposer à la liberté. Mais il est une puissance, comme quand on parle de la puissance d’un moteur. Il n’est pas ailleurs que dans ses productions: en surface, latéral et fugitif.
A ce nouvel objet correspond une nouvelle méthode, qu’on schématisera en trois points empruntés à un contemporain de la psychanalyse, Darwin:
-Aux procédés de classification on préférera la méthode généalogique.
-On accordera toute son importance à la recherche et à lecture des traces, celles du vivant descendu au Royaume des ombres.
-Et on sera attentif à ce qui est inclassable, marginal, insolite.

Mais les pistes sont brouillées par la maladie, qui s’enferme et nous enferme dans un obscur labyrinthe. Une situation concrète éclairée par le génie de Freud montre bien que les symptômes sont des traces qu’il faut savoir lire; de la vérité, mais en souffrance, comme quand on parle d’une lettre quelque part en transit. La maladie mentale est une impossibilité théâtralisée: ici des invraisemblables scénarios écrans permettaient à Dora de s’adonner à une liaison imaginaire avec Mme K, de se trouver à l’abri de l’homosexualité condamnée, tout en s’y livrant. Son aphonie résultait de cet entrecroisement.
Satisfaction imaginaire! Elle se donne du mal pour se satisfaire, et en imagination seulement, beaucoup trop de mal, et nous en fait.
L’inconscient est une usine, un théâtre, une prison. Ne dit-on pas de la maladie que c’est une affection? Une souffrance et une satisfaction, une ruse, la Ruse du Malin. Dora manipule sans le savoir les êtres qui se livrent à ses secrètes injonctions. On peut dessiner le réseau où s’enferme et s’exprime le désir de Dora. Si on admet cette géométrie concrète, la maladie concerne les êtres les plus écrasés, les plus empêchés, ceux qui ne peuvent extérioriser leurs fantasmes; les jeunes filles à Vienne au 19éme siècle. Et aujourd’hui?
Le premier des antipsychiatres fut bien Freud: la psychanalyse n’existe qu’à explorer ces ramifications sociales, dont le malade n’est que le maillon faible et où se déchargent les tensions. Le névrosé ne l’est jamais en soi: il est poussé dans des retranchements, acculé dans une impasse: École, Églises, Bureau, Usines, Partis et Syndicats, autant de milieux pathogènes …

Et combien d’êtres en bonne santé ne sont tels que parce qu’ils s’équilibrent aux dépens d’autrui. La maladie mentale intensifie des courants sociaux et en court-circuite d’autres. Du réel en souffrance … Le thérapeute, comme le chaman indien, lit des traces, des graphes, des diagrammes, des signes de piste. La parole de vérité est alors ce déchiffrement d’un substrat matériel d’échanges, qui règle le sort des micro-sociétés, et que les sujets se bornent sans le savoir à intérioriser.
Ainsi l’Histoire n’est pas linéaire: elle est reprises, va-et-vient, détours, retours et fixations.
Et la maladie est une infantilisation. Ou: le complexe d’œdipe est le symbole de toute maladie, la seule maladie. Et ce qui est maladie chez l’homme est malaise dans la civilisation.