
On n’adore plus aujourd’hui les dieux sur les hauteurs. Le temple de Salomon est passé dans les métaphores où il abrite des nids d’hirondelles et de blêmes lézards. L’esprit des cultes en se dispersant dans la poussière a déserté les lieux sacrés. Mais il est d’autres lieux qui fleurissent parmi les êtres humains, d’autres lieux où les êtres humains vaquent sans souci à leur vie mystérieuse, et qui peu à peu naissent à une religion profonde. La divinité ne les habite pas encore.
Elle s’y forme. C’est une divinité nouvelle qui se précipite dans ces modernes Éphèses comme, au fond d’un verre, le métal déplacé par un acide; c’est la vie qui fait apparaître ici cette divinité poétique à côté de laquelle mille gens passeront sans rien voir et qui, tout d’un coup, devient sensible, et terriblement hantante, pour ceux qui l’ont une fois maladroitement perçue. Métaphysique des lieux, c’est vous qui bercez les enfants, c’est vous qui peuplez leurs rêves. Ces plages de l’inconnu et du frisson, toute notre matière mentale les borde.
Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Le Passage de l’Opéra, 1926
Hush, Street Art, Paris