Un regard rapide sur l’histoire des PGM (Plantes Génétiquement Modifiées) est nécessaire pour comprendre la brûlante actualité des biotechnologies.
Si l’effet mutagène des rayonnements ionisants a été reconnu dès le début du XXe siècle, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que l’induction de mutations, c’est-à-dire de modifications génétiques, par ces rayonnements ou par des agents chimiques, a pris son essor. De nombreuses variétés de plantes alimentaires ou ornementales ont ainsi été créées, une partie seulement d’entre elles étant répertoriées, essentiellement dans le catalogue de l’AIEA, qui contient plus de 3270 références.
[AIEA: 1964, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’agriculture) et l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) ont créé une Division mixte des techniques nucléaires dans l’alimentation et l’agriculture, organisme de recherche et développement, dont le but est d’aider les pays membres à concevoir et mettre en œuvre des programmes d’amélioration des plantes en utilisant des techniques de mutation par rayonnement]
Ces variétés peuvent se retrouver, souvent non tracées, dans les collections dans lesquelles puisent les sélectionneurs. Lorsque l’Union européenne a produit une réglementation sur la dissémination volontaire d’OGM en milieu ouvert (c’est-à- dire pour la culture et l’alimentation), elle a bien inclus ces plantes dans la catégorie des OGM, mais a précisé: La présente directive [2001/18] ne s’applique pas aux organismes obtenus par les techniques de modification génétique que sont la mutagénose et la fusion cellulaire.

Les vivants obtenue par les techniques de mutagenèse classique sont donc bien des OGM, mais ils ne sont ni tracés, ni étiquetés, ni évalués en terme d’innocuité. C’est sur cette exclusion de la réglementation que s’appuient les multinationales semencières pour que ne soient pas soumises à la réglementation une grande partie des OGM issues des nouvelles biotechnologies, par exemple Crispr-Cas9.
Cette technique d’édition de gènes repose sur l’existence, dans le génome, de séquences particulières nommées Crispr (Clustered Regular Interspaced Short Palindromie Repeat, en anglo-américain, en raison de leur configuration palindromique). Cas9 est une endo-nucléase capable de reconnaître de telles séquences et de couper l’ADN à leur endroit. Il s’agit d’un mécanisme immunitaire chez les bactéries: les séquences intercalées entre les Crispr étant des éléments de génome de virus qui ont infecté la bactérie. La simplification et l’adaptation de ce système par les biologistes ont produit une technique de laboratoire qui permet, avec une facilité inégalée par les autres techniques d’édition de gènes, d’atteindre une séquence génétique et de la supprimer, l’inactiver ou la remplacer par une autre.
Sur la base de notre expérience courante des traitements de textes, on peut penser qu’on va modifier une lettre dans un texte sans rien changer d’autre, corriger une faute d’orthographe. Mais les gènes ne sont pas une succession de lettres, les lettres sont interdépendantes et peuvent avoir un sens différent en fonction du contexte génétique (ADN) ou épigénétique (autour de l’ADN).
Proposer une vision d’un monde qui peut se morceler comme un jeu de Lego est réduire la vie à des fonctions: chez le vivant, tout serait substituable, remplaçable, modifiable. Ce qui est radicalement faux.
Lorsqu’on sélectionne des mutants spontanés, comme il est fait traditionnellement en agriculture, on cherche une mutation donnant un caractère repérable, si possible souhaité. Les biotechnologies visent au contraire à obtenir telle modification à tel endroit précis du gène. En considérant même seulement un tout petit gène de 1000 paires de bases, la probabilité pour obtenir un changement d’une paire de bases donnée dans ce gène donné, de manière naturelle(donc aléatoire) serait de l’ordre de 107 par génération. Si ce changement donne un effet repérable, il faut donc disposer d’environ 10 millions de spécimens pour trouver celui qui a muté. Avec le génie génétique, il ne faut en principe qu’une seule culture de cellules pour obtenir ce même résultat …
Si on veut donc maintenant trois changements précis sur un gène précis, ce qui est tout à fait réalisable et réalisé (pour le blé, par exemple) avec les nouvelles techniques d’édition de gènes, il faudrait, dans les conditions naturelles, 1021 spécimens pour avoir quelque chance que cela se produise. Les puissances de 10 parlant peu en général, disons, à titre de comparaison, que l’âge de l’univers mesuré en secondes est de l’ordre de 1010.

Alien Covenant
Donc certes, la nature peut produire les mêmes mutations, mais dans un temps qui n’a rien à voir avec les réalités biologiques et humaines -et naturelles. Rien n’a de sens, en biologie, sinon à la lumière de l’évolution: cette célèbre maxime du biologiste Theodosius Dobzhansky (1900-1975) est totalement ignorée dans l’évaluation des biotechnologies.
Pourtant, la biosphère est un système dynamique, dont, détail qui a tout de même une certaine importance, l’espèce humaine fait partie. Affirmer implicitement que le taux de changement des êtres vivants qui constituent cette biosphère n’est pas important pour le maintien de l’organisation de ce système est un contresens, d’autant que tout biologiste sait bien que la vie repose sur les modulations des temps de réactions biochimiques (par les enzymes). Ce qui est si fondamental pour toute cellule, tout individu, serait- il négligeable pour les sociétés et les écosystèmes?
Cet article a été publié dans Inf’OGM, mars-avril 2017