Un silence quantique

Quand toute la trajectoire d’une étoile est soudain ramassée en une seule lumière, exister et agir sont un dans le silence

Le silence n’est pas visible et pourtant il est là avec évi­dence, il s’étend tout au loin et pourtant il est près de vous, si près qu’on le sent comme son propre corps. L’on ne peut le saisir, mais on le sent comme une étoffe. Il n’est d’autre phénomène que le silence où, lointain et proche, distance et présence, ce qui enveloppe tout et ce qui est particulier, forment l’un avec l’autre une unité si achevée.

Le silence est aujourd’hui l’unique phénomène qui est sans utilité. Il n’a pas de place dans le monde de l’utile contemporain; il n’est rien que là, il semble n’avoir pas d’autre fin, on ne peut l’exploiter. Tous les autres grands phénomènes sont annexés par le monde de l’utile. Même l’espace entre la terre et le ciel n’est plus maintenant qu’un tunnel lumineux qui sert à ce que les avions puissent le traverser. L’eau et le feu, les éléments, ont été intégrés dans le monde de l’utile, on ne les remarque que dans la mesure où ils sont une partie du monde de l’utile; ils n’ont plus d’existence par eux-mêmes. Mais le silence se tient hors du monde de l’utile, l’on ne peut rien faire avec lui, il est improductif, c’est pour cela qu’il ne compte pas.

Il vient plus de secours et de salut du silence que de tout ce qui est utile. Ce qui est sans but se place au côté de ce qui n’a que trop de but; il apparaît soudainement à côté de lui, il effraie par son absence de but, il interrompt le cours de ce qui n’a que trop de but. Il renforce ce que l’on ne peut tou­cher dans les choses, il adoucit le dommage que l’exploitation produit parmi les choses, il rend les choses à nouveau entières, dans la mesure où il les retire du monde destructeur de l’utile pour les rendre au monde de l’existence entière. Il donne aux choses une inutilité sacrée, car tel est le silence même: inuti­lité sacrée.

Lingua Fundamentum Sancti Silenti