Elles ne veulent plus apparaître comme des victimes, mais comme des êtres ayant une dignité : elles renoncent à toute vengeance inutile et notamment à l’emprisonnement

Il s’agit donc de faire vivre une attitude éthique qui se fixe pour exigence de ne pas répondre à la violence par la reproduction d’autres formes de violence inutile, qu’elle soit institutionnelle, légale ou discursive.

La tradition de l’abolitionnisme pénal offre des instruments puissants de pensée. Les auteurs de ce courant considèrent que l’on a peut-être tort de parler d’un échec du traitement pénal de la violence sexuelle. Ce n’est pas un échec, c’est une donnée nécessaire et logique. Si l’on met en évidence que les violences sexuelles sont un problème culturel et social, qu’elles sont disséminées dans la société, qu’elles sont massives, alors la réponse à cette problématique par un traitement individualisé comme le fait par définition l’État pénal est structurellement biaisée et inefficace.

L’abolitionnisme propose de partir de l’échec du traitement pénal des questions sexuelles non pas pour appeler à plus de pénalité, pour démultiplier l’invention de crimes ou de délits, de circonstances, de critères toujours plus flous et soumis à interprétation et donc aux conséquences parfois inquiétantes, mais, au contraire, pour nous inciter à déposer l’appareil pénal, à nous libérer de son emprise, de la perception individualisante du monde qu’il nous inculque et pour engager une réflexion réellement structurelle et sociologique qui pourrait déboucher sur l’invention d’autres formes de prise en charge de la blessure.

Le schéma répressif obéit à une logique diabolique: il est structurellement condamné à l’échec, mais cet échec conduit celles et ceux qui pensent à travers lui à appeler à le renforcer toujours plus, pour prendre en charge ce qui pourtant lui échappe par définition. C’est la raison pour laquelle la seule attitude raisonnable serait d’accomplir un geste d’écart par rapport à lui, de le déposer -de le désœuvrer. Pour refonder, à partir de là, nos modes d’analyse et de politisation de la question sexuelle.

Il y a quelques décennies, à la fin des années 1970, la Ligue du droit des femmes, proche de Simone de Beauvoir, se mobilisait publiquement contre le viol mais intervenait aussi pour mettre en question son traitement pénal. La Ligue écrivait dans un texte à valeur de manifeste:

Ce n’est pas l’emprisonnement de l’agresseur qui changera sa mentalité et qui lui apprendra qu’une femme est un être humain. Par conséquent, cette peine est inutile, puisqu’elle n’apporte rien aux femmes et ne fait pas évoluer les mentalités. La ligue, en outre, refuse de se servir de l’institution carcérale. Cette solution sexiste permet sans doute à notre société de se débarrasser d’un problème qu’elle a créé elle-même en fabriquant des violeurs mais il ne s’agit que d’un leurre. Si les femmes exigent que le viol soit dénoncé publiquement en tant que crime, c’est parce qu’elles souhaitent que tous, hommes et femmes, prennent conscience de l’importance de la violence sexiste dans notre société. Elles ne veulent plus apparaître comme des victimes, c’est-à-dire comme des sujets passifs, mais comme des êtres ayant une dignité sexuelle et qu’elles entendent faire respecter et exprimer clairement en renonçant à toute vengeance inutile et notamment à l’emprisonnement.

Ce groupe organisait des actions au cours desquelles des militantes et des victimes de viol intervenaient dans le procès de violeurs en criant: La prison n’est pas une solution ou Libérez l’accusé

Honoré Daumier

A suivre …

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