Qu’est-ce qui est sacré aujourd’hui? Le Fric et la Police

Anastasis

Dieu est mort, le trône est vide: le pouvoir frappe d’autant plus fort qu’il sait qu’il n’a plus d’autorité. Si toute théorie du complot est fausse, c’est qu’elle fait croire qu’il y a encore un arcane qui justifie le pouvoir. S’il y a un complot des puissants, il ne consiste pas à cacher le fondement du pouvoir mais à cacher son absence.

Ainsi ceux qui remettent en cause la police en elle-même, et pas seulement la formation de ses agents, sont traités avec la haine que soulevèrent les iconoclastes.

Jeune fille moderne, Paris 2005

On aura tout entendu sur cette jeunesse qui se soulève après les assassinats de jeunes citoyens par des policiers -ce ne sont pas les black-blocs qui tuent, en effet, mais la police et les truands- jusqu’à l’explication présidentielle par l’abrutissement dû aux jeux vidéo! Comme si ces jeunes manquaient de sérieux. Or ils sont parmi les plus sérieux de l’époque, ils en attaquent les idoles: la marchandise et la police.

Idoles au sens précis du terme, la marchandise et la police sont sacrées: on ne peut pas les bousculer sans commettre un sacrilège. Ainsi la haine que suscitent les émeutiers n’est pas seulement animée par la peur de voir sa maison saccagée, ni par notre racisme structurel, mais surtout par la sainte colère que l’on croit légitime de vouer aux apostats.

L’ordre social n’est pas mis matériellement en danger par les gestes des émeutiers, comme l’affirmait le président du Medef, alors que fumaient encore les magasins Nike et les commissariats: les réparations généreront de la croissance et tout sera remboursé par les assurances. Mais ils le mettent spirituellement en danger, en laissant penser que la marchandise est un objet que n’importe qui pourrait s’approprier simplement en en faisant usage, sans respecter le rituel fétichiste de l’achat.

Peut être qu’après tout ces croyances publiques
Ne sont qu’inventions de sages politiques
Pour contenir un peuple et pour bien l’émouvoir
Et dessus sa faiblesse établir son pouvoir.

Polyeucte brise les idoles

Lorsqu’il casse une vitrine, le jeune brise la vitre qui nous sépare de l’aquarium où se reproduisent les marchandises, comme l’iconoclaste, en brisant l’idole d’argile, peut être compris comme celui qui ouvre un accès immédiat au divin.

Accès immédiat au divin? Hum …

Oui, un risque de court-circuit … Et je n’oublie pas que le Concile d’Elvire, en 350, condamna le bris des Idoles. A l’autre bout de l’Empire les Rabbis ont eux aussi accepté la présence des statues des dieux, considérées comme des œuvres de beauté …

Le point est ici qu’il n’est pas convenable de mettre en balance la violence de la jeunesse insurgée avec la violence de la police. Qui a déjà essayé s’est rendu compte qu‘ils n’entendent rien, qu’ils ne voient pas: les vitrines brisées et les feux d’artifice (que la presse appelle des tirs de mortier pour faire peur) ne sont presque rien face aux dizaines de morts dus à la police, aux centaines de morts dus au travail, aux milliers de mort dus à l’impérialisme, aux millions de morts de faim dus à l’inégalité capitaliste.

Paris, 2018, Une promenade sur les Grands Boulevards

On condamne l’émeute en la réduisant à une manifestation de violence, alors qu’elle est une exposition politique de la fragilité de nos corps. Les corps en émeute ne sont pas violents si l’on entend par là qu’ils seraient devenus dominateurs. L’émeutier qui tire un feu d’artifice s’est d’abord exposé aux gaz, aux coups, voire aux balles; il a mis son corps fragile devant les armes alors que, disproportion irréductible, la police expose sa force par sa technologie, ses parades et son esthétique. Les corps habillés de k-way noirs demeurent fragiles, quand bien même ils seraient équipés de masques ou de cailloux.

Face à eux se tient la concrétion du pouvoir étatique, armée, entraînée, et qui à son tour se sert des émeutiers pour effectuer une piqure de rappel: Ne va pas prendre au sérieux ce qu’on te dit à l’école. Le droit ne prime pas sur la contrainte. Depuis le Référendum sur la Constitution européenne et les Législatives de 2024 tu devrais quand même avoir compris.

La question n’est donc pas de savoir si l’on est pour ou contre la violence, question stupide, on le sait depuis Platon, mais, dans un geste anti-nihiliste, d’apprendre comment tourner notre puissance contre leur force.

Jésus chasse les Marchands du Temple