Il ne s’agit pas d’éliminer tout savoir et de l’opposer à la croyance et à la foi, mais de développer un savoir dont le but n’est précisément pas de savoir, mais de soutenir une action. Comme en médecine où la connaissance des maladies n’est pas une fin en soi, mais où seule l’est la guérison ou le soin du patient, comme en politique où il ne s’agit pas de connaître une situation avec le seul but de la connaître, mais de la faire durer ou de la changer, ce n’est pas non plus le savoir qui constitue le rapport essentiel à Dieu.
Dieu laisse l’homme oser: Dieu doit laisser à l’homme qui aspire à ce rapport particulier avec lui le risque d’oser lui-même l’assumer. Le sérieux de la religion ne consiste pas dans le savoir et l’on pourrait étudier toute sa vie la théologie et rater le moment crucial du religieux. Il consiste dans le fait de rapporter le savoir à une situation où l’on a pris le risque de son salut. C’est le moment que Kant appelait celui du jugement, qui ne consiste pas en connaissance et en savoir, mais dans l’usage approprié de cette connaissance et de ce savoir à quelque autre fin qu’ils n’ont pas en eux-mêmes: le soin du patient en médecine, la résolution d’un procès en droit pénal, le façonnement d’une situation en politique.

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L’exigence religieuse est de virer vers l’action, d’agir en conséquence de ce qu’on a dit, et c’est précisément ce virage qui sépare l’homme religieux de l’esthète. L’esthétique est l’instant et dans l’instant; or, religieusement, c’est l’instant suivant qui décide, car c’est alors qu’il faut me mettre à agir.
A la différence de l’instant esthétique, qui est dans l’immédiateté, l’instant éthique du religieux est dans l’après-coup; il tire des conséquences et agit en conséquence. Il engage une action; ce que ne fait pas le moment esthétique. On peut se servir du religieux comme d’un moment esthétique, mais manque alors la dimension de l’agir en conséquence.
Il est un point que nous oublions très facilement: le sérieux est ce qui résiste au rire, ce qui ne se laisse pas contaminer par le rire ni ne cherche à le provoquer, alors même que, prenant parti pour le réel en des sens qui ne sont pas courants, il risque de le déclencher plus facilement que ceux qui prennent leur imaginaire pour le réel. Le sérieux a conscience d’être un objet favori de moquerie, parce qu’il s’engage sur un point où les autres ne se seraient pas forcément engagés; et il accepte d’être mesuré à l’aune de cet engagement: qui n’ose, à tout instant, soumettre son sérieux à l’épreuve de la moquerie, est le vrai sot, le vrai comique.

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Cependant les actions engagées par les Églises, que ce soit pour enrayer la faim dans le monde, protéger les plus faibles, les instruire, porter secours aux immigrés et se soucier de leurs conditions de vie visent profondément et avant tout une efficacité pratique; elles voient leur consistance religieuse dans cette efficacité pratique même. Beaucoup estimeraient indécent d’avoir quelque visée parallèle ou accompagnatrice qui ne soit pas strictement celle de l’amour du prochain. Présentée comme étant la recherche de son propre salut, cette visée ne passerait pas et serait ressentie comme un doublage d’égoïsme ou comme une morale de philistin: c’est cela qui a profondément changé depuis Kierkegaard.
L’action, l’action réelle, avec des conséquences directes dans le monde, est maintenant plutôt une condition sine qua non du salut: si ce que l’on fait n’était pas directement fait pour les autres -pour apaiser réellement leur faim, leur détresse, leur misère, ce qui est fait n’aurait pas de sens religieux. Ainsi, tout langage que soit essentiellement le religieux, ce langage est destiné à devenir vie: s’il n’est pas vie, s’il n’est pas réalité, il est destitué de toute valeur -tant pratique, où il n’est plus qu’une comptabilité des actes, que théorique.

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C’est en ce sens que le symbolique inactif ne suffirait pas à faire du religieux. Le symbolique ne serait pas religieux s’il n’était que symbolique, sans sa transcendance vers le réel.
Un commentaire sur “3 La recherche de son propre salut n’a pas de sens religieux”
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