Si l’homme est un animal, alors il s’agit d’un animal extrêmement imparfait et précisément pour cette raison ce n’est pas du tout un animal

La lenteur du développement ontogénétique est favorable à l’aptitude à apprendre, au développement intellectuel, à l’imprégnation, donc à la transmission culturelles. L’homme est un néotène (étymologiquement, celui qui maintient sa jeunesse) en raison de son inachèvement constitutif. La période de la jeunesse est plus longue que partout ailleurs dans le règne animal. Cela signifie que l’homme n’ayant pas d’instinct comme l’animal est plus démuni que celui-ci pour devenir rapidement indépendant. Le petit d’homme ne sait pas se protéger du froid, ni rechercher sa nourriture; il doit tout apprendre car rien ne lui est transmis mécaniquement par l’hérédité. Mais sa faiblesse est aussi sa force, car sa fragilité et sa plasticité lui ouvre le champ infini de l’apprentissage. Humain est l’être qui s’humanise en raison de son éducabilité et de sa perfectibilité. Moins que l’animal à la naissance, il le surpasse infiniment en raison de cette disposition. Tout ce qui constitue l’humain, les sentiments, le langage, l’art, la science, les techniques, la religion, tout ce que la civilisation a pu accumuler au long des âges ne se transmet pas biologiquement mais par l’éducation. Même la station droite et l’habileté manuelle ne sont pas données spontanément.

La lenteur du développement ontogénétique est favorable à l’aptitude à apprendre, au développement intellectuel, à l’imprégnation, donc à la transmission culturelles. L’homme est un néotène (étymologiquement, celui qui maintient sa jeunesse) en raison de son inachèvement constitutif. La période de la jeunesse est plus longue que partout ailleurs dans le règne animal. Cela signifie que l’homme n’ayant pas d’instinct comme l’animal est plus démuni que celui-ci pour devenir rapidement indépendant. Le petit d’homme ne sait pas se protéger du froid, ni rechercher sa nourriture; il doit tout apprendre car rien ne lui est transmis mécaniquement par l’hérédité. Mais sa faiblesse est aussi sa force, car sa fragilité et sa plasticité lui ouvre le champ infini de l’apprentissage. Humain est l’être qui s’humanise en raison de son éducabilité et de sa perfectibilité. Moins que l’animal à la naissance, il le surpasse infiniment en raison de cette disposition. Tout ce qui constitue l’humain, les sentiments, le langage, l’art, la science, les techniques, la religion, tout ce que la civilisation a pu accumuler au long des âges ne se transmet pas biologiquement mais par l’éducation. Même la station droite et l’habileté manuelle ne sont pas données spontanément.

On comprend l’intérêt porté par le 18éme siècle à ceux que l’on a appelés les enfants sauvages, ces enfants élevés par des animaux ou survivant par leurs seules forces loin des sociétés humaines. Ils sont la démonstration vivante de l’incapacité à s’humaniser hors du contact avec leurs semblables. Ces enfants témoignent que le développement humain n’est possible que par la vie sociale et l’éducation, l’accès à la culture au sens large n’étant pas une donnée génétique.

Bonobo

Lucien Malson, au terme de sa présentation des enfants sauvages, de conclure alors, scandaleusement: la vérité que proclame tout ceci c’est que l’homme en tant qu’homme, avant l’éducation, n’est qu’une simple éventualité. L’homme qui ne serait pas éduqué en resterait-il à l’animal? On entrevoit ici les conséquences redoutables d’une telle affirmation. Car en affirmant que l’éducation peut tout parce que l’homme au départ n’est rien d’autre qu’une simple éventualité on remplace l’ancienne nature avec toutes ses déterminations par une plasticité telle que toute entreprise de l’homme sur l’homme devient possible et illimitée.

Les totalitarismes du XXéme siècle furent des tentatives de modeler un homme nouveau à partir de la toute-puissance de l’éducation et du néant originaire que serait le petit d’homme à son commencement. Thèse intellectuellement voisine du libéralisme: toute idée de nature étant congédiée, l’être humain apparaît sous les traits d’une plasticité pervertie en une malléabilité totale, d’une docilité sans limite de l’homme à une éducation qui a charge de déterminer en lui la totalité de ses conduites. On voit donc comment une plasticité totale de l’homme aboutit à sa réduction à une forme susceptible de tous les conditionnements.

Langur

Apparaît alors en pleine lumière l’équivoque accompagnant la notion d’éducation. Celle-ci ne peut, en aucun cas, être pensée sur le modèle de l’hominisation biologique, comme passage du non-humain à l’humain.
Car sans réintroduire une conception essentialiste de la nature humaine, il faut caractériser le processus d’humanisation comme la construction de l’humain, non pas à partir du non-humain mais d’un être déjà humain, et bannir les formules ambiguës affirmant que l’homme n’est rien puisque doué d’une plasticité absolue.

Rien n’autorise le coup de force éthique derrière l’apparence anthropologique, néantisant le petit d’homme à ses commencements. Ni Kant, ni Fichte son continuateur sur le plan anthropologique, en séparant nature et liberté, ne réduisent l’homme à l’animal tant qu’il n’est pas humanisé. L’inachèvement de l’homme, son imperfection ne sont pas ce qui réduit l’homme à l’animal mais tout au contraire ce qui l’en sépare.

Entelle dorée

Si l’homme, écrit Fichte, est un animal, alors il s’agit d’un animal extrêmement imparfait et précisément pour cette raison ce n’est pas du tout un animal.

Et Kant, de son côté, réintroduit l’idée d’un dessein de la nature qui, ayant pourvu l’homme de la raison et de la liberté, fait signe en direction d’une humanisation déliée de toute répétition instinctuelle et invitant à l’accomplissement d’un développement libre et rationnel:

La nature a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l’agencement mécanique de son existence animale, et qu’il ne participe à aucune autre félicité ou perfection que celle qu’il s’est créée lui-même, indépendamment de l’instinct par sa propre raison. En effet la nature ne fait rien en vain, et elle n’est pas prodigue dans l’emploi des moyens pour atteindre ses buts. En munissant l’homme de la raison et de la liberté du vouloir qui se fonde sur cette raison, elle indiquait déjà clairement son dessein en ce qui concerne la dotation de l’homme. Il ne devait pas être gouverné par l’instinct, ni secondé et informé par une connaissance innée, il devait bien plutôt tirer tout de lui-même.

Tirer tout de soi-même, c’est-à-dire ne rien devoir à l’instinct signifie qu’originellement l’homme possède en lui-même ce qui l’appelle à l’humanisation. On ne devient pas homme parce que l’éducation apporterait de l’extérieur l’humanité manquante, on devient homme parce qu’on l’était déjà. L’humanisation désigne le mouvement qui conduit un humain inachevé, et qui donc porte en lui la dimension ontologique de l’Attente, vers l’accomplissement de sa raison, de sa liberté, de sa sociabilité par la médiation de l’éducation et de l’instruction.

Ce qui serait alors proprement inhumain ici serait de considérer qu’un être pourrait recevoir de l’extérieur son humanité sous prétexte que le milieu humain est le point d’appui du développement humain. On ne peut soutenir la thèse selon laquelle nous passerions du non-humain à l’humain, cette thèse suppose qu’on disposerait d’une définition de ce qu’est une homme achevé.

La tâche d’humanisation est une perpétuelle élévation de l’humain (= l’histoire est ouverte), et il n’existe pas d’essence de l’homme permettant de mesurer des degrés d’humanité. Inhumaine serait l’erreur théorique doublée d’une faute pratique prétendant graduer l’appartenance à l’humain. L’humain le plus démuni, à commencer par le nourrisson, est donc plus qu’une éventualité ou une virtualité d’humanité, il est une espérance, une attente d’humanisation, parce qu’il est déjà humain.

Jacques Ricot, l’Inhumain