Par delà l’orbe terrestre s’étend un vaste cimetière de comètes, aux lueurs mystérieuses, apparaissant les soirs et les matins des jours purs

L’Astronomie était la connaissance de l’ordre immuable qui dément les vaines prétentions des hommes à changer le cours des choses … Pour traduire sans reste le pouvoir de la loi scientifique en pouvoir spirituel régissant la société, Auguste Comte repoussait dans les ténèbres de l’inconnaissable ce qui s’étend au-delà du système solaire … Pour ne connaître des astres et de leurs mouvements que le modèle d’ordre enseigné par la géométrie, il fallait exclure toute considération sur leur nature chimique … Célèbre est l’interdit jeté par Comte sur la métaphysique. Moins connue, strictement parallèle, sa condamnation des recherches vaines sur la composition chimique des étoiles … Or après 1848 ce sont les savants eux-mêmes -Kirchoff, Huggins, le Père Secchi, qui travaillait à l’observatoire du Vatican, plus qu’une anecdote!- qui jettent les bases de la spectroscopie, et ramènent cet Ordre céleste, païen, platonicien, aux lois de la matière telle qu’elle se manifeste dans la composition chimique des corps. Le système du monde échappera aux hiérarques adorateurs d’un progrès qui ne saurait être pour eux que le développement de l’ordre.

En 1833, Vidocq déplore à Paris plus d’une centaine de sociétés secrètes. Toute l’histoire du mouvement révolutionnaire en France entre1830 et 1870 porte la trace de ces sociétés qui, de clubs tant que le régime le permet, se changent en officines de propagande clandestine ou en conspirations dès que la répression s’installe, et redeviennent clubs à l’heure où le régime vacille. En 1848, il n’y en a pas moins de six cents à Paris dont, pour n’en citer qu’un, le Club de l’Émeute révolutionnaire, 69, rue Mouffetard, présidé par Palanchon, ancien complice de Blanqui. L’histoire officielle du mouvement ouvrier veut que la tradition conspirative, avec ses serments, ses rituels d’admission et son décorum secret, ait succombé à l’essor du mouvement ouvrier, dont elle avait pourtant formé le creuset. Mais les membres de la Ligue des Justes, ancêtre de la Ligue des Communistes, n’ont-ils pas participé à l’insurrection avortée de 1839 lancée par la Société des Saisons?

Doug Green

Les astres ne sortiront plus -telle est la base du raisonnement de Blanqui- de la loi du nombre. Ainsi, si le nombre des tirages possibles est fini, quoiqu’astronomique, les situations se rejouent éternellement avec les mêmes personnages. L’espérance du progrès est barrée, reste celle des bifurcations. Chaque conjonction semblable peut se dénouer différemment. Non que les milliards d’autres Blanqui tirent jamais les leçons de leur expérience: seul le hasard peut acheminer un autre Blanqui sur des routes différentes. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille se reposer sur le hasard. Certes lui seul peut faire triompher l’insurrection. Mais une insurrection que des hommes courageux auront préparée sans rien laisser au hasard. Un des sosies verra la lueur d’un monde d’hommes égaux et libres. Des milliards d’autres Blanqui l’ont déjà vu sur une des ces planètes dont ne vient aucune nouvelle. Si l’on sait tout cela on peut raisonnablement espérer et tenter l’impossible. Tel est le message de l’Enfermé, qu’il vaut la peine de réentendre dans la grisaille d’un présent adorateur de la Nécessité. Quel révolutionnaire de la pensée ou de l’action a jamais proposé un écart aussi radical entre les conditions objectives de l’action et la liberté et le courage de son entreprise?

L’Éternité par les Astres

L’univers tout entier est composé de systèmes stellaires. Pour les créer, la nature n’a que cent corps simples à sa disposition. Malgré le parti prodigieux qu’elle sait tirer de ces ressources et le chiffre incalculable de combinaisons qu’elles permettent à sa fécondité, le résultat est nécessairement un nombre fini, comme celui des éléments eux-mêmes, et pour remplir l’étendue, la nature doit répéter à l’infini chacune de ses combinaisons originales ou types. Tout astre, quel qu’il soit, existe donc en nombre infini dans le temps et dans l’espace, non pas seulement sous l’un de ses aspects, mais tel qu’il se trouve à chacune des secondes de sa durée, depuis la naissance jusqu’à la mort. Tous les êtres répartis à sa surface, grands ou petits, vivants ou inanimés, partagent le privilège de cette pérennité.
La terre est l’un de ces astres. Tout être humain est donc éternel dans chacune des secondes de son existence. Ce que j’écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l’ai écrit et je l’écrirai pendant l’éternité, sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes semblables. Ainsi de chacun.

Blanqui au Père Lachaise

Une anthologie