4 L’Élixir végétal de la Grande Chartreuse

Pauvre âme vagabonde, passant superficiel, ouvrier sans racines! Voilà une potion magique qui te rapprochera de la Terre.

D’où le fabuleux succès (commercial …) des liqueurs monastiques, dès 1840 …

J’ai vu les plus beaux monastères du monde; souvent, sur le mont Cassin, dans la forêt de Camaldoli, ou le long du Main et du Rhin, le désir m’a saisi de mener la vie contem­plative qui semble là s’écouler en une éternelle paix. Mais je me ravisais toujours, en remarquant combien toute l’organisation de la vie quotidienne y éloigne de la nature, quelle désaffection, et même quel dégoût pour elle entraînent les mortifications qu’une sévère loi impose à ceux qui ont prononcé leurs vœux.

De tous les ordres religieux possibles, je souhaite que soit conservé celui-là seul qui me semble de quelque nécessité pour la société humaine. C’est l’ordre des Chartreux. Combien nombreux sont ceux qui ont poursuivi dans la règle de cet ordre une existence qui leur eût été insupportable partout ailleurs! C’est le seul asile de tous les vrais malheureux, ceux qui regrettent un acte commis dans l’ardeur de la jeu­nesse, ou sous l’influence de camarades, ou une erreur dont les conséquences sont terribles et sans remède. Le monde et son agitation, qui saisit tous ceux qui ne s’écartent pas de lui, la compassion même que leur destin éveille, briseraient leur cœur; la vie elle-même serait pour eux un déshonneur, s’il n’était ici pour les recevoir un lieu de calme et d’isolement, sem­blable à celui où nous nous rendrons après la mort; la douleur de l’irréparable s’y résout pour eux en mélancolie, et leur fait partager la connaissance uni­verselle que cette vie, pour qui l’a une fois surmontée, n’offre plus rien de désirable, que le destin des hommes mortels est essentiellement triste. Je n’ai nulle part fait de connaissances plus intéressantes que dans les monastères de Chartreux, en particulier en France; nulle part porté de regard plus pénétrant sur la vie humaine et ses complications de toute sorte. Quel refuge, hors la tombe, resterait-il au malheureux qui par une faute qu’il ne méritait pas de commettre, a perdu tout bonheur de vivre, si cette société bien­faisante ne lui ouvrait les bras, elle qui sous l’ap­parence de la plus grande dureté, poursuit les desseins les plus humanitaires, où la vie s’écoule pour ainsi dire hors du temps et où l’existence calme des plantes, la seule à laquelle ses membres s’associent encore activement leur offre la constante image de la sérénité (Gelassenheit) et du retranchement? Même pour l’existence de mon art, la médecine, j’ai beaucoup appris des membres de cet ordre, qui par une longue observa­tion, particulièrement des plantes, ont appris à connaître leurs merveilleux rapports avec l’homme.††

Chartreuse de Zice, Slovénie

C’est vrai, dis-je, j’ai souvent été étonné des effets considérables que vous avez obtenus par des moyens apparemment inefficaces et modestes, qui semblaient tout à fait disproportionnés à la gravité des circons­tances.

Et que pour cette raison même, ajouta-t-il, je n’aurais jamais pu employer dans une grande ville, où les gens connaissent seulement les remèdes les plus dangereux et ne croient pas en ces choses simples.

Est-ce donc pour cela, dit Clara, que vous avez préféré vivre en cette petite campagne plutôt que dans une grande ville?

Pas seulement pour cela, répondit-il. Celui qui fait des recherches sur la nature des choses doit vivre à la cam­pagne.

Clara Cartusiana