Jonathan Littell se trompe complètement quand il voit dans le nazisme l’exaltation de la nation …

Le nazisme ne révérait pas les nations mais la race. Et la Race est une mythologie, une invention. Elle permet de décider qui est humain et qui ne l’est pas. Décider, être libre! Ainsi le Mouvement national-socialiste libère pour Heidegger les puissances de l’imagination créatrice, seulement entrevues par Kant: d’où ses moqueries contre un désuet racisme biologique et bourgeois, moqueries que la confondante naïveté de ses fidèles français présente comme une critique voilée du Troisième Empire.

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Joseph Goebbels

Reich ne signifie pas Nation. Et même si la conception allemande de la nation faisait référence au Volk, c’est-à-dire à la communauté de langue, de culture, puis de souche, les nazis étaient partagés sur la définition du peuple supérieur: les Germains, c’est-à-dire les Allemands, y compris les Autrichiens et les Volksdeutschen d’Europe centrale et orientale? Les ressortissants d’une race nordique quelque part entre la Scandinavie et le nord de l’Allemagne? Ou plus généralement les Aryens?

Rauschning prête à Hitler ce mot: L’Allemagne ne sera l’Allemagne que lorsqu’elle s’appellera l’Europe -avec ses espaces coloniaux à l’Est, en Afrique, plus tard en Chine, en Amérique. Espaces vierges, ou à dépeupler. L’histoire du monde n’est plus celle de la lutte des classes, mais un roman d’aventures païennes. Le livre préféré d’A.H. était Les exilés dans la Forêt, de Mayne Reid. Grandes vacances sans les parents, Our Lord of the Flies.

Quels qu’aient été les accommodements nécessaires, et conçus comme provisoires, avec la bourgeoisie et l’aristocratie occupant l’Appareil d’État, le nazisme ne reposait nullement sur le culte de l’État. C’est au contraire le Parti -le NSDAP- qui entendait utiliser, réduire et, en définitive, absorber l’État. La notion de polyarchie (une multiplicité de centres de pouvoir dans un État réduit à son efficacité technocratique, utilisé) est familière aux historiens du nazisme.

Dégager, avec Arendt une commune racine au bolchevisme et au nazisme est sans aucun doute plus que pertinent: historiquement avéré! Le glissement consiste à assimiler la tradition émancipatrice du mouvement ouvrier (dont se réclama, dont ne fit justement que se réclamer, le pouvoir auto-proclamé communiste) et le fascisme. Cette assimilation insensée fut constitutive de la rhétorique nazie elle-même -c’est l’aile Révolution de l’expression hitlérienne Révolution Conservatrice. Elle a été reprise, dans une tentative de validation qui vaut complicité, par quelques universitaires allemands au milieu des années quatre-vingt. François Furet, figure aujourd’hui en attente de canonisation, donna en correspondant avec un certain Ernst Nolte des lettres de créance académique à ce très banal révisionnisme.

Les Bienveillantes est une fiction autobiographique reposant sur des catégories politiques implicites radicalement fausses. Jonathan Littell interpelle chacun dans sa conscience individuelle (quel style). Un nazi est un pervers lettré, moi aussi (enfin, j’aimerais bien …), j’ai ça en moi, quelle horreur. Quelles délices.

La notion même de conscience est en fait évacuée. On efface ainsi le rôle des forces politiques. La France n’est vue qu’à travers la collaboration, les copains de Max Aue, Rebatet et Brasillach. La Résistance n’a jamais existé. Tous des pervers se traduit par: Il n’y a pas de héros, soit: Il n’y a pas eu, il n’y a pas, et il n’y aura jamais de lutte.

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Normandie, l’armée américaine et la Résistance

Gros livre, idée niaise: l’Histoire n’existe pas, et tous les chats sont gris.
Ce n’est pas la patrie, la nation (les patries, les nations!), ni l’État de droit, qui recèlent l’explication du nazisme, et de la légitimation du meurtre de masse qu’il porte en son cœur, mais la haine de la démocratie, de la Loi. C’est ce que le roman de Jonathan Littell ne permet pas de comprendre, ou plutôt permet de ne pas comprendre.

Husson et Terestchenko