Le miroir le plus profond -à la fois lumineux et sombre- qu’on puisse tendre à l’esprit, il est tombé de nos mains …

L’étude du latin au lycée et la lecture des Bucoliques, qui sont en poésie un monde imagé extraordinaire, dont l’Occident tout entier n’a cessé de subir la fascination, et j’y succombais à mon tour, m’avaient préparé à voir dans la Grande Terre du Sud le lieu par excellence où l’on cherche à entrer chaque fois qu’on regarde un tableau avec les yeux du désir.

Et ce n’est pas l’art italien -non seulement celui des vedutisti venus d’ailleurs, mais les inventions successives des peintres du pays même, depuis en tout cas Giotto, qui pouvait déjouer ce leurre. Car les êtres, les lieux qu’il a mis en scène, c’est à du divin qu’ils réfèrent, dans tous ces sujets religieux, et du divin imprégné de réalité naturelle, avec incessamment la mémoire des grands mythes du paganisme et un sens inné des proportions et des nombres.

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Si bien que ces tableaux sont souvent la suggestion d’une humanité belle avec mystère, irriguée d’un feu, souveraine, dans un environnement qui reste le nôtre: ces monuments et ces sites, nous les reconnaissons, ils existent, et sont peut-être donc l’absolu, sinon ici même, du moins à deux pas d’ici, derrière l’horizon proche.
La peinture italienne incite à lever le rideau de l’ici, à passer au-delà, dans le grand jour plus encore, elle fait cette suggestion avec d’autant plus d’efficace que nombre de ses grands créateurs ont rêvé comme ils le demandent, en dépit de leurs attaches chrétiennes; et c’est sûr que j’ai subi cet attrait moi-même, mon tour venu, il m’a fait rêver l’Italie …
Mais peu importe dans mon propos d’aujourd’hui ces rêveries, mes dernières, car ce que j’ai le désir de souligner, maintenant, c’est que l’art italien n’est pas seulement cette suggestion d’Arrière-Pays, consciente ou involontaire, il fut aussi une succession d’artistes qui -et précisément parce qu’ils l’avaient vécu eux-mêmes, tous les premiers- l’ont dénoncée, retrouvant dans cet espace tout buissonnant de mirages la voie d’une réalité enfin vraie, celle que l’on peut vivre ici, dans la finitude, et avec alors toute la profonde beauté dont la chose simple et vraie est capable seule.
La mimésis, dans l’art italien, ce fut tout de même aussi pour comprendre le bonheur que l’on trouve aux aspects du monde quand on les perçoit comme les composantes de notre lieu et non comme les signes par quoi s’annonce un lieu autre. Elle a été un champ d’expérience où Piero, Bellini, Titien, Véronèse, Caravage, Poussin et beaucoup d’autres encore, parfois mineurs mais d’autant plus émouvants, ont pu mûrir à eux-mêmes, et nous délivrer ainsi un enseignement qui aide à la délivrance.

Voilà ce que l’Italie m’a apporté, pour ma part; et voilà la raison de ce qui peut sembler une étude critique, mais n’est en fait que mon désir de revivre le grand débat que ces artistes, en cela des penseurs, eurent avec eux-mêmes, en Italie, en quelques moments cruciaux. L’un de ceux-ci étant cette époque décisive qui commença avec Caravage et Carrache, avec Elsheimer aussi, et aboutit à Poussin et à Dughet.
J’ai commencé cette réflexion dans Rome 1630, je l’ai continuée dans un essai sur le tableau et l’image à cette époque, le Seicento, puis dans des cours au Collège de France, mais je voudrais la développer, en prenant mieux connaissance de ce que furent la pensée mais aussi le rêve dans ces années et surtout à Rome, qui a été longtemps, du point de vue de l’imaginaire métaphysique, j’emploie ce mot par opposition à l’échafaudement des fantasmes, une sorte d’avant-poste.

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Constantin d’Aix

Il y avait dans la ville même et partout alentour ces ruines de civilisations disparues, où la fable l’emportait encore sur le savoir historique, où l’on apercevait à des horizons indistincts dans la campagne des marécages et des roseaux cette ville des serpents, par exemple, dont Anthony Blunt a rappelé l’existence dans sa vaste monographie; cité ruinée et abandonnée, et de quelle époque, nul ne le savait plus, ne voulait le savoir, mais que peuplaient des reptiles de toutes tailles, dont l’un a agressé et va dévorer un homme, dans Le Paysage aux serpents, de Poussin. La raison avait alors à se frayer durement sa voie, dans les fourrés de la nostalgie. Elle n’en est que plus ardente et lucide …

Comment pourrions-nous apprécier l’importance de ce qui est beauté, pure beauté des frondaisons devenues peinture, dans La Guérison de l’Aveugle, si nous ne savions pas que ce tableau de Poussin représente, précisément, cet instant où quelqu’un retrouve la vue; et ne percevrons-nous pas davantage encore de l’intention du peintre, et de la qualité de son émotion, lorsque nous apprenons, dans une étude de Marc Fumaroli, que Poussin avait alors en esprit la poétique de son ami Marino, qui estimait que si le Fils est mort sur la croix, c’est pour que l’être humain redivinisé ouvre ses yeux sur le monde, et le voit dans tout son éclat, que lui voilait le péché originel? Pour comprendre une parole il faut en apprendre la langue.

Le vrai danger, mais l’étude objective est précisément la seule qui peut faire échapper à ce piège, ce n’est pas de regarder l’œuvre avec la loupe de l’érudit, c’est la main basse que fait l’idéologie sur les intentions et les significations dans les œuvres. Car voici l’inépuisable du fait asservi à une langue qui se préfère, se ferme. J’ai maintenant le désir, comprenant mieux cela, de rester dans la compagnie de quelques artistes que je respecte, ces peintres du Seicento romain, par exemple. Dans le cas de Caravage et de Poussin j’ai rêvé, et je rêve encore parfois, d’études de caractère monographique, dans l’esprit de celle que j’ai consacrée à Giacometti.
Rien n’est plus satisfaisant à mes yeux que de voir s’avancer vers soi, à force d’y avoir employé son temps, un nombre toujours croissant d’aspect d’un travail, d’une vie: c’est la transmutation de l’idée que l’on se faisait de quelqu’un, toujours bien abstraite, en une présence. Mais c’est en fait tout le XVIIIéme siècle, depuis Bologne, qui se met en mouvement, qui allume ses feux, qui multiplie ses questions et ses réponses, dès que l’on commence à s’intéresser de près à Caravage, à Poussin, et ce qui se révèle important, sinon essentiel, ce sont leurs relations mutuelles -car je ne doute pas que Poussin n’ait médité sur le peintre de Saint-Louis des Français, lequel attendait, espérait, aurait aimé recevoir l’avis, le soutien moral, fût-ce avec beaucoup de réserves, d’un esprit de la sorte qu’était Poussin, passé lui aussi par Venise.
En fait, c’est une dialectique de quelque cinquante années que j’ai le désir de mieux comprendre. Et n’oubliant pas ces Hollandais que j’évoquais tout à l’heure, les Poelenburgh, les Svanevelt, qui venaient se prendre aux mirages de la campagne romaine, j’aimerais aussi repartir de ce grand moment, pour aller vers Goethe, vers Valenciennes, vers le Corot d’Italie -et vers le peintre inconnu, un peu classicisant, un peu voyageur romantique, qu’on croit rencontrer parfois au tournant des pages dans l’admirable Licht von Claude Lorrain, le catalogue de l’exposition de 1983 à Munich. Ce peintre n’a pas existé, au degré d’intensité, de génie, qui aurait pu être le sien à l’époque de Nerval. Mais il est comme le foyer virtuel où convergent bien des rayons de nature métaphysique.

La peinture de paysage m’attire comme nulle autre, sous le signe d’un vers de Baudelaire, un vers aussi perceptif à lui seul que tout Les Phares: Les violons vibrant derrière les collines. Il me semble que représenter le fait terrestre, dans le jeu de la couleur et des rythmes, c’est le miroir le plus profond -à la fois lumineux et sombre- qu’on puisse tendre à l’esprit. Mais aujourd’hui il est tombé de nos mains, il est sans doute cassé. Le tableau devient un objet esthétique …

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Manet, le buveur d’absinthe

Qu’est-ce qu’en effet que Le Déjeuner sur l’Herbe de Manet, sinon le manifeste qui proclame que l’œuvre est le simple moyen d’une délectation qui ne cherche plus de loi qu’en ses moyens propres, composition de couleurs, on serait tenté de dire: de saveurs? Qu’est-ce que l’Olympia, sinon l’indication que le peintre n’a pas à chercher de sens aux scènes qu’il représente, et peut mettre le jugement moral à distance. Et voici donc que le tableau devient objet esthétique, sans vocation désormais à la connaissance du monde ou à la réflexion sur la vie.

Ainsi avec Manet l’art rompt avec son ancien projet de connaissance, métaphysique ou morale. Et c’est vrai que le discours qui portait ce savoir, cette vérité, le plus souvent feignait seulement de le faire, et toujours s’aliénait dans le double jeu du concept.
On en était alors, dans ces années qui changeaient si vite, au point de rupture -à preuve Rimbaud bientôt, dans Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs, ou Laforgue, dans ses Moralités Légendaires, et aussi bien et surtout d’ailleurs Nietzsche et Freud, qui vont dénoncer ce tissu d’illusionnements sinon de mensonge, ce qui justifie l’idée, déjà chez Poe et chez Baudelaire, d’une parole de poésie -et, pourquoi pas, d’un travail de peintre- qui s’en sépare, et ne peut donc, en un sens, que fonder sur soi, qu’assumer ses adhésions instinctives, lesquelles ont parmi elles le bonheur simple à la couleur, comme celle-ci va, sur la toile …

Mais il y a bien un monde qui n’est pas ce système de signes … Quelque chose de fondamental me paraît manquer dans cette poétique de l’intransitivité, quand elle perd de vue que ce qui motive l’esprit, même dans ces moments d’apparent abandon au désir simple, c’est le besoin de s’inscrire dans l’être, d’en retrouver le contact: le refus du discours de la supposée vérité n’étant en fait que celui d’une construction qui la voile.

L’art démissionne, s’il n’entend plus dans sa profondeur ce souci de ressourcement, s’il n’essaie pas de trouer son propre langage, de déchirer ses propres belles images, mais aussi, et comme en retour, d’écouter, pour les critiquer de cette façon, ce que ses œuvres ne cessent de vouloir dire, seraient-elles des Déjeuner sur l’Herbe.
Et c’est pourquoi je trouve heureux que soient apparus, à ce moment en somme très périlleux de l’histoire, des peintres comme Cézanne ou Van Gogh pour se souvenir qu’il y a un monde; et savoir que celui-ci est tout autre et bien plus que les systèmes de signes que nos langues lui substituent. Devant la Sainte-Victoire, devant le vol des corbeaux, Cézanne ou Van Gogh n’ont de cesse que d’essayer d’en finir avec la grille des signes, qui leur cache ces profondeurs, ce gouffre de l’Unité … Ils peignent pour que se redresse la flamme.

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Bonnard, Passants

Et qui d’autre que des poètes, des peintres pourraient cela? Or, n’est-ce pas nécessaire? N’est-ce pas le plus important? Et peut-on donc, de ce fait, consentir autrement que de façon dialectique -pour son défi, pour sa vigilance, pour sa virtuosité- à un art qui se veut intransitif?

Disons alors que Picasso, c’est la suite logique de Manet. Celui-ci avait rompu, dans Le Déjeuner sur l’Herbe avec le devoir de responsabilité ontologique que je viens de reconnaître chez Cézanne ou Van Gogh, et qu’on voit encore vécu, plus modestement mais de façon tout à fait intense et touchante, chez quelques postimpressionnistes -ce mot prenant sens de cette façon- dont le plus grand est Bonnard.

Mais cette rupture, Manet ne l’avait vécue que de façon peu consciente et assez contradictoire; tandis que Les Demoiselles d’Avignon ont pour bonheur d’en prendre conscience complètement, ce qui permet à l’artiste d’entrer dans un champ désormais libre: l’oubli de la finitude, autrement dit du dehors des mots, et le jeu sur les mots et les signes, par conséquent un jeu désormais sans obligations ni sanctions.
Les Demoiselles d’Avignon s’en prennent à ce qui est dans la personne le lieu et le symbole de son rapport d’identité et de responsabilité à soi-même: le visage, que Picasso met dans ce grand tableau en morceaux comme à coups de hache. Mais est-ce là en finir authentiquement avec la personne que l’on est, ou simplement la vouer à n’être que l’esclave de ses pulsions, qui continuent d’être ce qu’elles sont toujours chez l’être parlant, des désirs faisant corps avec du discours, et imposant une parole?

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A ne pas se vouloir plus que liberté, par la grâce d’un immédiat affirmé sans réflexion sur le rapport du signe et de la présence, Picasso reste sous la coupe des formes désormais non critiquées par lui de la médiation, le discours est là, qui l’obsède, avec même tout un héritage d’académisme non déjoué; et ce qui aurait dû être chez lui expérience de vérité, comme chez tous les grands peintres jusqu’à son jour, n’est plus que sentiment mal refoulé qu’elle manque: c’est une angoisse, un remords.
Et c’est aussi beaucoup d’agressivité, à tout le moins de fascination, pour ceux qui ne sont pas comme lui. Contre Grünewald, opposant déchiquétement à crucifixion. Contre ces maîtres de la perspective, si désireux de dire l’ordre du monde, et dont le cubisme détruit la continuité, la cohérence, quitte à trébucher parmi les éclats de leur grande vitre cassée. Contre ces Femmes d’Alger, que l’auteur des Demoiselles d’Avignon essaye de désarticuler, sans réussir toutefois à briser le merveilleux miroir qui métaphorise si bien, en son cadre lourd, la peinture comme conscience profonde.
 Contre Giacometti enfin, que Picasso ne cesse de regarder travailler avec une jalousie inquiète: cet Autre, qui par bien des points lui ressemble, ne s’est-il pas fait le témoin de la présence, n’est-il pas en cela plus véridique que lui? Picasso a tordu le cou à l’éloquence, peut-on penser, mais si celle-ci est illusionnement ou mensonge, c’est-à-dire un refus de la vraie responsabilité, Picasso qui persiste dans ce refus n’en est-il pas tout de même l’héritier, le continuateur? Il a été le Janus de l’art postmoderne. A la fois celui qui le fonde, en sa négativité foncière, et le dernier orateur.

Post-Moderne: ce mot me paraît acceptable pour désigner ce qui commence avec Les Demoiselles d’Avignon, ce besoin d’affirmer contre toute pensée qui s’organise le droit à l’autonomie des signifiants du langage et du désir qui s’y joue -le droit, en somme, d’en finir avec la recherche d’un sens qu’on pourrait donner à la vie, par domination, puis-je dire panoramique, des forces qui la mènent et des conditions qui la grèvent. La modernité, de Galilée à Freud, de Caravage à Manet -ç’avait été d’essayer de préserver le projet d’un sens de cette sorte au moment-même où commençait de disparaître, puis s’est à peu près effondrée, la structure théologique de l’univers et de l’existence.
Alors même qu’elle découvrait que nous ne sommes que de vaines formes de la matière, comme l’a dit Mallarmé, ce qui implique que nos paroles ne sont que des signes sans enracinement dans l’absolu derrière les apparences, elle voulait continuer à penser notre condition, à lui trouver un sol, une tâche: et de ce point de vue cette grande ambition, si assurée encore chez Michelet, mais bien naïvement éprise, c’est vrai, de l’idée du progrès par les moyens de la science, peut n’apparaître aujourd’hui, rétrospectivement, que comme une période transitoire entre l’abolition du grand réfèrent et la déconstruction de tous les autres. Mais l’homme ne peut oublier l’Un …

Reste à savoir si tirer cette conséquence, ce n’est pas insuffisamment comprendre la nature et les ressources de ce qui dans l’être parlant est besoin d’affirmation tout de même, besoin qui réclame sans cesse. Si de la critique du Moi, si nécessaire, un Je ne doit pas chercher à renaître, sans illusion mais nullement sans responsabilité, et par exemple et d’abord au plan artistique. S’il ne faut pas se dégager de la fascination d’un Bataille pour la violence et la mort, même si on voit régner la violence et la mort sur le monde: car est-ce de cela qu’il faut parler à l’enfant qui grandit, dans ce qui reste de la lumière du monde?

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Poussin

Comment ne pas être inquiet, quand on voit la dégradation des données démographiques, et économiques, des sociétés de ce monde, et plus encore les dévastations que ces sociétés portent dans notre environnement terrestre, qui va peut-être dans quelque vingt ou trente ans se révéler de façon irréversible ce qui flambe, ce qui s’effondre?
Mais l’art n’a pas à tendre un miroir au feu qui prend, il doit essayer de l’éteindre, jusqu’au dernier moment et même après celui-ci. Et il le fait -pensez au cinéma, par exemple. Un grand problème, que nous n’avons pas évoqué, fut l’apparition de la photographie à la fin de l’époque romantique, ce qui n’est pas que coïncidence: car cette technique portait un coup terrible à la conscience de soi. Pourquoi? Parce que ce qui apparaissait, sur la photographie de quelqu’un, c’étaient deux verrues et cette distance de trois centimètres entre elles. Là où le peintre avait cherché à comprendre le rapport à soi d’un être parlant, à dire l’orgueil, la fougue, le souci spirituel, la naïveté touchante, voici qu’un constat irréfutable faisait venir en avant ce qui n’est que comme surface, ne signifie que comme matière, prétendant cependant: ceci, c’est vous, ne dites pas non, et d’ailleurs s’il vous advenait de changer vos traits, vous seriez suspect devant la police, vous auriez contredit votre carte d’identité. La photographie substitue l’identité par le dehors à l’idée de celle que l’on peut explorer, approfondir, transmuter peut-être, par le dedans de soi-même.
Et ce n’est donc pas parce qu’elle concurrençait les moyens de la peinture que la photographie en a modifié le cours, mais parce qu’elle en a déconsidéré les tâches: démoralisant le portraitiste, privant le peintre de paysage de ressentir l’unité cosmique sous l’entassement des arbres, des pierres, des eaux, tous retenus sur la pellicule au même degré de simple apparence …

Mais à peine attaqué, l’art contre-attaque, il l’a fait du sein même de l’activité du photographe avec d’authentiques artistes comme Nadar et bien d’autres, car il y a un art en photographie, un art qui par son intuition de la spontanéité des êtres, de leur présence, à un instant, dans un lieu, est même au premier rang aujourd’hui de cette attestation du sens que je déplorais de voir menacée chez les disciples de Picasso.

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Robert Frank

Et à échelle plus vaste encore, c’est toujours l’art, c’est ce grand projet vieux comme le monde, qui a pris possession de la technique photographique elle-même en l’inscrivant dans celle plus large qu’est l’enregistrement cinématographique, capable, lui, non seulement de la captation du dehors des choses, mais d’une saisie du temps, et donc de la fiction, donc de la recherche du sens. La nouvelle pratique a réparé le mal qu’aurait pu faire la précédente. Elle a donné lieu à un art qui a retrouvé naturellement la capacité épique et épiphanique des peintures murales du moyen âge.

Une conversation avec Yves Bonnefoy