Pour qui les soldats encerclent-ils la voie?
Pourquoi le portail s’ouvre-t-il si vite?
Combien aujourd’hui? Cent cinquante? Cent?
Où les chasse-t-on le long des rues noires,
Des fenêtres aveugles, des portails sourds?
Le vent d’est tourbillonne, cingle, déchire,
Taillade, brûle, joue de son fouet.
D’où vient qu’avant l’aube, à la Quarantaine,
Le vent se récite à l’issue de la nuit:
On porte à plein seaux des grappes juteuses,
On jette les grappes dans un fossé profond.

Maksimilian Voloshin et Mariya Zabolockaya
Mais non, pas des grappes. De tout jeunes hommes
Qu’on jette dans la fosse pour presser le vin
On leur brise les os à la mitrailleuse,
La fosse, on la perce avec de gros pieux.
Le sang pressé remonte à la surface,
L’armoise et les ronces sont pourpres autour,
Le gel a saisi les grappes toutes jeunes,
Les chairs ont jauni, les cheveux ont givré.
Qui devant la chapelle du Prophète Élie,
Pleure à l’aube, se cachant le visage?
Qui les soldats chassent-ils à coups de crosse:
Reste pas à chialer, à chien, mort de chien!
Et elle, elle reste, elle pleure et pleure
Et répond au soldat, les yeux dans les yeux:
Est-ce que je pleure sur ceux qui sont morts?
Je pleure sur ceux qui devront vivre vieux…
Il s’agit de la Guerre civile Russe, et aussi de la Shoah par balles, à venir: les poètes sont des voyants.
Traduction du russe: André Markowicz