Sur le bateau pour les étoiles

Que voyons-nous? Tout d’abord un ciel nocturne fourmillant de corps stellaires: la lune décroissante avec son auréole, un réseau d’étoiles blanches, jaunes, orange et bleues qui semblent palpiter et faire jaillir une énergie cosmique, et une spirale qui s’enroule sur elle-même et court parallèlement à l’horizon. Sous ce ciel agité, nous apercevons les maisons d’un hameau, entouré de champs de blé et d’olivaies, borné à droite par des collines dont les ondulations sont répétées par des bandes claires dans le ciel. Au centre du hameau se dresse une église dont la flèche dépasse à peine l’horizon, tandis qu’à gauche un cyprès domine toute la composition en s’élançant dans le firmament animé.

Le sujet de ce tableau, décrit si souvent comme une œuvre hal­lucinatoire ou visionnaire, résiste à l’investigation de nos méthodes grossières. Nous devons nous arracher à la convention et à une excessive familiarité pour porter toute notre attention sur ce qui se manifeste avec évidence.

De la position de la lune et de l’orientation des cornes du croissant, il ressort que la Nuit étoilée représente la région orientale d’un ciel avant l’aube, vers quatre heures du matin. Ce tableau contient suffisamment de données précises pour que des astronomes puissent le situer dans l’espace et dans le temps, ce qui nous libère des idées reçues et permet de considérer le peintre sous un jour nouveau: comme un réaliste plutôt que comme un fou en proie au délire devant son chevalet. On a toujours vu dans la Nuit étoilée la pire manifestation de l’expressionnisme prétendument fou de Van Gogh: une inven­tion imaginaire, la vision extravagante d’un mystique, d’un homme en communion extatique avec les puis­sances célestes.

Ce mythe a la vie dure; un récent article pré­sente cette peinture comme une allégorie de l’Agonie au Jardin des oliviers et la définit comme un amalgame imaginaire. Mais un examen attentif de la correspondance de Van Gogh con­tredit ces explications par trop simples qui tentent surtout de rat­tacher le peintre à la tradition des maîtres anciens sans tenir compte de sa situation historique. Van Gogh détestait la religio­sité moralisatrice qui conduit à un mysticisme vague: dans une lettre, il dénonce les systèmes de croyance et leurs absurdités qui transforment la société en une espèce d’asile d’aliénés, en un monde à l’envers -Ah, ce mysticisme! Un peu plus loin, il s’exclame: Oh! Je ne suis pas un partisan du christianisme contemporain, encore que son fondateur fût sublime; j’ai trop bien vu le jeu du christianisme contemporain.

Van Gogh exprimait sa conception du monde en s’engageant dans la réalité telle qu’il l’appréhendait directement. Il était un partisan déclaré du réalisme en art: De ce réalisme-là qui a du caractère, et un esprit sérieux. Il condamnait l’écrivain améri­cain Edgar Allan Poe pour son manque de réalisme, et il profes­sait que l’on pense plus sensément si les pensées naissent d’un contact direct avec les choses que si l’on regarde les choses dans le but d’y trouver ceci ou cela. Van Gogh était un réaliste en ce sens qu’il nourrissait son travail des impressions visuelles reçues de son environnement: J’exagère, je change parfois au [sic] motif; mais enfin je n’invente pas le tout du tableau; je le trouve au contraire tout fait, mais à démêler dans la nature.

Van Gogh plonge ses racines dans le réalisme hollandais. Les propres com­mentaires du peintre sur ses Mangeurs de pommes de terre de 1885 expriment son besoin de faire comprendre leur réa­lité sociale et économique: J’ai voulu, tout en travaillant, faire en sorte qu’on ait l’idée que ces petites gens, qui, à la clarté de leur lampe, mangent leurs pommes de terre en puisant à même le plat avec les mains, ont eux-mêmes bêché la terre où les patates ont poussé; ce tableau, donc, évoque le travail manuel et suggère que ces paysans ont honnêtement mérité de manger ce qu’ils mangent. Quoique portant la marque de son imagination et de sa compassion, ses représentations se fondaient sur sa percep­tion de la nature à l’état brut: Si une peinture de paysans sent le lard, la fumée, la vapeur qui monte des pommes de terre, tant mieux! Si un champ exhale l’odeur de blé mûr, de pommes de terre, d’engrais, de fumier, cela est sain …

Van Gogh s’inspirait de son expérience immédiate. Il rendait compte de la nature jusque dans sa perception du ciel nocturne: parlant de son projet de peindre le ciel étoilé, il le rappro­chait d’une peinture antérieure d’un champ labouré et espérait être un de ces soirs dans le même champ labouré si le ciel est bien étincelant. Mais c’est dans une lettre à Théo, écrite moins d’un an avant la Nuit étoilée, que Van Gogh définit le plus nette­ment le lien qui unit sa vision de la dure réalité et le ciel nocturne: Si l’on se porte bien, il faut pouvoir vivre d’un mor­ceau de pain, tout en travaillant toute la journée, et en ayant encore la force de fumer et de boire son verre, il faut ça dans ces conditions. Et sentir néanmoins les étoiles et l’infini en haut clai­rement. Alors la vie est tout de même presque enchantée. Ah! ceux qui ne croient pas au soleil d’ici sont bien impies.

Le besoin des sociétés primitives de fixer le calendrier de leurs rites fondamentaux et la croyance que le sort des peuples est régi par les étoiles et les planètes conduisirent inévitablement les arts plastiques, y compris l’architecture, à conserver le souvenir des phénomènes astronomiques. L’avènement du christianisme ne changea que la signification conférée à ces phénomènes: ceux-ci, tels que l’apparition de comètes et de supernovae, furent dès lors perçus comme les signes de la colère ou de la bienveillance de Dieu. Tout au long de l’histoire, les images du ciel correspon­dent souvent aux théories scientifiques de l’époque; on passe progressivement de premières interprétations rudimentaires à des représentations fidèles et exactes, les plus justes de ces des­criptions comprenant peut-être les comètes.

Une des premières représentations véridiques d’une comète réelle est due à Giotto: il s’agit de la comète de Halley dans l’Adoration des mages de la chapelle des Scrovegni à Padoue. Peinte quelques années après son impressionnante appa­rition en 1301, la comète domine le ciel avec sa tête et sa queue, telle qu’elle dut être visible à l’œil nu. Giotto exprima l’énergie palpitante de la comète (le nuage entourant le noyau) avec des couleurs rouges, or et jaunes. L’image qu’il en donne est tout à fait précise, avec sa grande chevelure, presque circulaire, d’où jaillissent des rayons de lumière, et sa longue queue striée dont l’éclat s’éteint progressivement à mesure qu’elle s’éloigne de la tête. Cette représentation a sûrement bénéficié du développe­ment de l’astronomie à la fin du XIIIéme siècle et ce n’est pas un hasard si Giotto a renouvelé l’iconographie conventionnelle en substituant la comète à l’Étoile de Bethléem.

C’est en 1456 que le géographe florentin Paolo Toscanelli, qui influença les travaux de Léonard de Vinci sur l’astronomie, l’optique et la perspective, traça le mouvement de la comète de Halley sur la carte des constellations. L’astronomie du XVI éme siècle fut marquée par la théorie héliocentrique révolutionnaire de Copernic (développée en 1543 dans De revolutionibus orbium coelcstium), et par les travaux de Tycho Brahé, astronome danois qui publia un catalogue précis des étoiles et prouva que les comètes étaient des objets distincts dans l’espace et non pas, comme Aristote l’avait affirmé, des phénomènes atmosphériques de mauvais augure. Tycho Brahé fit aussi grandement progresser l’observation astronomique grâce aux très nombreux instru­ments qu’il avait réunis dans son observatoire d’Uraniborg. Sa découverte d’une supernova dans la constellation de Cassiopée en 1572 fit prendre conscience au profane cultivé qu’il existait un ciel nouveau et une terre nouvelle. Quelque vingt-cinq ans plus tard, Johannes Kepler publia le premier de ses grands ouvrages, le Mysterium cosmographicum, où il exposa la supé­riorité du système copernicien sur le système ptolémaïque en raison à la fois de sa simplicité et de son harmonie, thèse que défendit aussi Galilée, alors titulaire de la chaire de mathématiques à l’université de Padoue. Les travaux des deux savants pro­gressèrent considérablement avec l’invention du télescope vers 1608: Galilée fit ainsi en 1609 d’importantes découvertes rela­tives à la surface de la lune, aux planètes et à la voie lactée, qu’il publia en mars 1610 dans son célèbre Siderius nuncius.

C’est précisément à cette époque que le francfortois Adam Elsheimer peignit la Fuite en Égypte. Il s’agit d’une scène éclairée par la pleine lune. Sous les étoiles se déploie un univers sans limites, mais rassurant, où la Sainte Famille en fuite avance dans le vaste inconnu. Son souci de donner une description juste du ciel se manifeste dans la représentation des constellations de la Grande Ourse, d’Arcturus (le Bouvier) et des Pléiades. Il est plus surprenant que le peintre dépeigne la voie lactée comme un agrégat d’amas d’étoiles plutôt que sous la forme générique d’une bande traversant le ciel: voilà qui atteste sa connaissance des découvertes scientifiques récentes.

L’astronomie galiléenne connut des répercussions tout au long du siècle; l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’époque, le Paradis perdu de Milton, est parsemé de références astronomiques: il s’agit en fait du premier poème cosmique dans lequel un drame se joue sur l’arrière-fond de l’espace interstellaire. L’étrange Somnium de Kepler, publié en 1634 après sa mort, est le premier voyage scientifique moderne dans la lune, où se mêlent autobiographie et imagina­tion. Ce courant de découvertes astronomiques permet de com­prendre que Vermeer, révéré par Van Gogh comme un maître, ait pu peindre un Astronome lisant l’ouvrage fondamental d’Adriaen Metius sur l’astronomie et la géographie, Institutiones astronomicae geographicaeque, guide pratique pour l’utilisation des instruments propres à l’étude de l’astronomie et de la géographie, deux domaines connexes à une époque où l’obser­vation de la surface de la lune était devenue possible. La cartogra­phie du XVIIéme siècle dépendait étroitement de la connaissance de l’astronomie, puisque c’est principalement grâce à l’étude des corps célestes que les cartographes furent en mesure de déter­miner la latitude, en particulier en mer. Le livre de Metius était aussi destiné aux armateurs et pilotes, et présentait des ins­tructions pour l’art de la navigation. Au XVIIéme siècle comme à l’époque élisabéthaine, le commerce et le mercantilisme sous-tendirent les grandes découvertes astronomiques.

Les études lunaires conduisirent à la création de l’observatoire de Greenwich en 1675 et furent le point de départ des Principia de Newton (1687). L’observatoire recueillit des données sur le mouvement du ciel et la position des étoiles fixes, tandis que Newton présentait une théorie de ce mouvement: il y établit les principes fondamentaux de la mécanique céleste, démontrant les relations des corps célestes entre eux ainsi que la force de la gra­vitation qui les maintient dans leurs orbites. La fabrication sans cesse améliorée d’instruments d’observa­tion fit faire de grands pas à l’astronomie. En 1766, le Hanovrien William Herschel commença à construire des télescopes munis de lentilles d’une extrême précision, grâce auxquels il put identi­fier, huit ans plus tard, une nouvelle planète, Uranus, et décou­vrir par la suite plus de deux mille nébuleuses.

Les découvertes de Herschel eurent une influence stimulante sur ses contemporains, dans son pays comme à l’étranger: en témoigne en Grande-Bretagne l’activité des savants, des indus- triels et des artistes regroupés dans la Birmingham Lunar Society, association non officielle, dont les membres se réunissaient le lundi le plus proche de la nuit de la pleine lune afin de pouvoir rentrer chez eux en toute sécurité. L’artiste préféré de la Lunar Society, Joseph Wright of Derby, avait peint un Philosophe fai­sant une conférence sur une sphère armillaire, où l’astronomie moderne soutient la comparaison avec l’Antiquité par sa capacité à enchanter et à nourrir des esprits très divers La sphère armillaire, comparable à un planétarium miniature représentant les positions et les mouvements relatifs des planètes, servait principalement à vulgariser l’étude de l’astronomie. Wright fai­sait surtout de la propagande en faveur de la diffusion de la science pour le compte de ses amis de la Lunar Society, laquelle contribua grandement à lancer la révolution industrielle.

Les membres de la Lunar Society avaient aussi une profonde admiration pour un autre artiste, Johann Heinrich Füssli, qui entretint avec eux d’étroits rapports. Füssli était fasciné par l’astronomie et le vol dans l’espace, ainsi qu’en témoigne son illustration pour le Paradis perdu de Milton édité par F. J. Du Roveray en 1802, illustration intitulée Uriel observant la chute de Satan. En représentant l’instant où Satan et ses anges rebelles sont chassés du ciel (livre II, vers 768 et suiv.), Füssli traite la scène du point de vue d’un observateur galactique. Il s’agit en fait d’une vision de l’espace interplanétaire, où Satan -Il est précipité la tête la première du haut de l’éther– laisse une tramée de poussière cosmique et de feu comme une comète courant dans l’univers illimité. L’expulsion de Satan et la sépara­tion consécutive du ciel et de l’enfer sont ici l’allégorie de l’explo­sion originelle de la matière et de sa division en planètes. Un tel événement ne pouvait être représenté comme s’il était vu depuis la terre, mais seulement depuis un point du cosmos. Un ami de Füssli, William Blake, fut lui aussi très proche de la Lunar Society, et son œuvre abonde en références astronomiques au ciel nocturne, en particulier Milton A Poem où le ciel étoilé apparaît faussement aux sens tant qu’on conserve l’impression que la terre est un globe roulant dans le Vide. Le Tyger de Blake a sa source dans l’astronomie, dans la constel­lation circumpolaire du Lynx, ou est Tigris, brûlant et brillant / Dans les forêts de la nuit.

Quant au peintre allemand Philipp Otto Runge, il affirmait que le spectacle céleste était l’une des expériences de la nature qui lui inspiraient le sens de l’Infini et le tournaient vers l’Esprit divin. Son intérêt pour l’astronomie se manifeste de la manière la plus frappante dans sa série sur Ossian, commandée par l’éditeur Perthes pour illustrer la traduction par Stolberg des poèmes de Mac Pherson. L’épopée d’Ossian est elle-même pleine de métaphores lunaires, d’étoiles filantes et de comètes éclatantes, témoignant de l’enthousiasme de l’époque pour la météorologie et l’astro­nomie. L’étude de Runge pour Ossian représente le barde assis à la cime d’une haute montagne. Juste au-dessus de sa tête, brille l’étoile polaire, laquelle était pour les peuples nordiques l’Étoile au sommet de la Montagne céleste. Fils d’armateur, Runge savait que l’étoile polaire était aussi l’Étoile guide des navigateurs.

Caspar David Friedrich avait, lui aussi, étudié l’astronomie, la météorologie et la géologie. Ses nombreuses représentations du clair de lune témoignent d’une connaissance précise des phases de la lune et d’un grand souci d’exactitude. Le plus souvent, comme dans Homme et femme contemplant la lune , Abbaye dans la forêt de chênes et Cygnes dans les roseaux, la lune est représentée dans sa phase décroissante, à l’est, au point du jour, juste avant l’aube. La planète Vénus figure aussi dans Homme et femme … et dans Cygnes …, tandis que dans Abbaye …, Friedrich non seulement montre le croissant de la lune mais indique également le contour du reste de la lune, éclairé par la lumière provenant de la terre.

La précision astronomique caractérise les tableaux de ciel noc­turne des préraphaélites de la Grande-Bretagne impériale. C’est le cas du Navire de William Holman Hunt, peint en 1875: la scène de ce tableau est une vue perspective, prise de derrière le timonier, du pont d’un vapeur faisant route vers la Terre sainte. L’œil suit une diagonale depuis le gouvernail jus­qu’au ciel étoilé, ce qui souligne une fois de plus le rapport tradi­tionnel entre navigation et astronomie.

Hunt avouait avoir été enivré par la poésie du vaisseau par­courant le globe sous l’immensité des étoiles. Mais il ne laissa pas son imagination poétique l’emporter sur les observations minutieuses auxquelles il se livra de jour comme de nuit pour préparer ce tableau, qu’il acheva à Jérusalem. La scène est en effet orientée vers le sud-ouest, et, à en juger d’après le croissant de la lune, elle est située peu après le coucher du soleil à la fin de l’été. Hunt y représente le ciel aussi scrupuleusement qu’il rechercha les paysages authentiques de ses scènes bibliques.

Frédéric Edwin Church, paysagiste américain, fut quant à lui un explorateur intrépide, associé de près aux expéditions lan­cées par la marine des États-Unis vers l’Amérique du Sud entre 1849 et 1853. Il donna un exemple remarquable de phénomène céleste dans son Aurora Borealis de 1865: en décembre 1864, en pleine guerre de Sécession, on put observer depuis la côte nord-est un déploiement spectaculaire de lumières venant du nord. Mais, alors que le tableau prétend rendre compte de cet événe­ment, il emprunte en fait son arrière-plan montagneux à un cro­quis d’Isaac Hayes représentant le paysage du point le plus au nord atteint plusieurs années auparavant par cet explorateur.

Les conceptions de Church s’inspiraient en grande partie des voyages et des explorations d’Alexander von Humboldt, dont les ouvrages avaient acquis une vaste audience aux États-Unis après le milieu du siècle. Humboldt voulait donner une image exacte de la structure physique de l’univers, de manière à intéresser le public cultivé et à stimuler la curiosité des profanes pour les découvertes scientifiques. Pour lui, la science était la clef du développement et constituait une ressource nationale sans l’exploitation de laquelle un pays aurait stagné et décliné. Cette conception était partagée par celui qui fut son ami tout au long de sa vie, François Arago, directeur de l’observatoire de Paris. Arago, républicain, membre du gouvernement provisoire en 1848, souhaitait rendre les études scientifiques accessibles au plus grand nombre. Il organisa des cours pour enseigner au public les rudiments de l’astronomie: de même qu’il voulait permettre la participation de toutes les classes au gouvernement de l’État, de même il souhaitait vulgariser l’astronomie pour en favoriser la diffusion et le progrès. Arago fut un exemple pour des jeunes gens talentueux d’origine modeste, au nombre desquels Urbain-Jean-Joseph Le Verrier et Camille Flammarion.

L’irrégularité du mouvement de la planète Uranus conduisit plusieurs observateurs à supposer qu’une planète inconnue en était la cause. Arago incita son protégé Le Verrier à étudier ce pro­blème. Le jeune astronome entreprit de vastes calculs mathéma­tiques et en déduisit l’orbite, la masse et la position approxima­tive d’un corps céleste hypothétique. Fort des travaux de Le Ver­rier, et à l’aide d’un bon télescope et d’une carte du ciel tout à fait fiable, Johann Gottfried Galle, à l’observatoire de Berlin, la nuit du 23 septembre 1846, repéra la nouvelle planète: Neptune.

Deux mois plus tard, Honoré Daumier dessina un couple de bourgeois scrutant le ciel, bouche bée, avec cette légende: Recherche infructueuse de la planète Leverrier. Dau­mier était particulièrement captivé par le ciel et ses phénomènes, et il représenta à plusieurs reprises des ciels étoilés: pensons à la prédilection de Daumier pour les paysages vus d’une fenêtre: Effet de lunes montre un drôle de couple qui regarde de sa chambre un ciel semé d’étoiles.

La manière dont Daumier indique les étoiles -par des points blancs sur un fond noir- était plus ou moins celle de tous les peintres. Ce n’est qu’en 1879 que Luc Olivier Merson aban­donna cette manière dans son populaire Repos pendant la fuite en Égypte. Il s’agit d’une scène nocturne avec la Vierge et l’Enfant paisiblement étendus dans les bras du Sphinx, sous un ciel semé d’étoiles. Merson renouvelle le thème traditionnel en le traitant dans un vaste espace et avec une précision méticuleuse dans le rendu du ciel. Mais la représentation des étoiles -en particulier dans ce type de scène de désert où le ciel est très clair- est si retenue que les astres n’apparaissent que comme de minuscules et anodins points de lumière. Toutefois, la célébrité de ce morceau de Salon témoigne de l’intérêt de l’époque pour l’astronomie, et il se peut qu’il ait avivé le goût de Van Gogh pour les paysages nocturnes.

L’éblouissant tableau d’un ciel de nuit d’été de Jean-François Millet tableau que Van Gogh a probablement vu, repré­sente beaucoup mieux pour celui-ci le modèle d’une vue du ciel. Ce tableau déploie une grande variété de phénomènes célestes, étoiles filantes, météores, planètes, et donne une vision convaincante de la voie lactée. Ce vaste panorama de formes, de tailles et d’éclats n’est cependant pas une description précise du ciel, mais une présentation composite des observations que le peintre a recueillies sur une longue période: Millet livre ici une merveilleuse impression d’un ciel nocturne réel, sombre et pro­fond, vu vers le sud, probablement en août, avec les constella­tions du Sagittaire et du Scorpion. Aaron Sheon a rapproché l’intérêt du peintre pour les paysages célestes des recherches astronomiques de cette époque publiées dans des revues popu­laires. Les meilleures de ces publications étaient dues au jeune astronome Camille Flammarion, dont l’ouvrage qui connut le plus de succès, Astronomie populaire, dédié à Arago, influencera profondément Van Gogh.

A suivre …