Ces vieux torchons fais-en des cordes

Et les chefs dirent au roi: Que cet homme soit mis à mort! Il décourage tout le peuple.

Ils prirent Jérémie, et le jetèrent dans la citerne qui se trouvait dans la cour de la prison; ils descendirent Jérémie avec des cordes. Il n`y avait pas d’eau dans la citerne, mais il y avait de la boue; et Jérémie enfonça dans la vase. Ébed Mélec, l’Africain, qui était dans la Maison du roi, apprit qu’on avait mis Jérémie dans la citerne. Ébed Mélec parla ainsi au roi: O mon seigneur, ces hommes ont mal agi en traitant de la sorte Jérémie, le prophète, en le jetant dans la citerne. Le roi donna cet ordre à Ébed Mélec, un eunuque Éthiopien: Prends ici trente hommes avec toi, et tu retireras de la citerne Jérémie, le prophète, avant qu’il ne meure. Ébed Mélec prit avec lui les hommes, et se rendit à la Maison du roi, dans un lieu au-dessous du Trésor; il en sortit des lambeaux usés et de vieux haillons, et les descendit à Jérémie dans la citerne, avec des cordes. Ébed Mélec, l’Éthiopien, dit à Jérémie: Mets ces lambeaux usés et ces haillons sous tes aisselles, sous les cordes. Et Jérémie fit ainsi. Ils tirèrent Jérémie avec les cordes, et le firent monter hors de la citerne.

Jérémie, 38

Un prophète -quelqu’un qui ne voit pas l’avenir, bien entendu, mais qui sait dire la vérité- est jeté dans une citerne. Boueuse.

Griffer la paroi. Glisser, retomber.

Le pouvoir va l’aider. Que serait un roi sans son prophète, et un prophète sans son roi? Que serait la justice sans la force, et la force sans la justice?

Lui  jeter de quoi s’accrocher, de quoi ne pas se noyer dans la boue de la morne répétition et de la complaisance envers l’enivrante tristesse des vérités qui découragent. Lui balancer des chiffons. Que l’Intendant, Ebed Melek l’Ethiopien, est allé chercher en dessous du Trésor: dans une pièce poussiéreuse, dans un débarras oublié. Des haillons, un reste, de trop, dans le Trésor du Roi, dans les merveilles de la Création, dans les choses de la Nature. De trop, comme Adam selon Pic, comme Roquentin selon Sartre. Comme la pierre rejetée par les maçons, qui deviendra la pierre d’angle.

Annibal Carrache, La lapidation d’Étienne, détail

Aux alentours de l’an 50, un demi-millénaire plus tard, le diacre Étienne est conduit devant le Sanhédrin pour répondre de l’accusation de blasphème.

Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté? Ils ont tué ceux qui annonçaient d’avance la venue du Juste, celui-là même que maintenant vous avez trahi et assassiné. Ces paroles les exaspérèrent et ils grinçaient des dents contre Étienne. Ils poussèrent alors de grands cris, en se bouchant les oreilles. Puis, tous ensemble, ils se jetèrent sur lui, l’entraînèrent hors de la ville et se mirent à le lapider. Ils avaient posé leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme appelé Saul.

Les Actes des Apôtres

Saul assiste à la mise à mort. Petit bedeau, il est préposé à la surveillance des vêtements liturgiques qu’ont dépouillés les prêtres pour être plus à l’aise dans la lapidation. Ils ressemblent à des athlètes grecs maintenant. Eux, les Fidèles! Et leurs beaux habits, leurs costumes de Cardinaux, sont devenus des fripes molles, sous la lumière rasante. Un miracle? Oui, une question de point de vue.

Bernardo Daddi, La lapidation d’Étienne

Saul change alors de nom, comme Abraham. Il sera ce Paul, qui sera désarçonné sur le chemin de Damas. Qui ne l’a pas été, désarçonné, en entendant en lui ces mots: Je suis.

Mais Paul a entendu un peu plus: Je suis/celui que tu persécutes.

Et celui que tu persécutes a toujours un nom propre.

Ἐγώ εἰμι Ἰησοῦς ὃν σὺ διώκεις: ἀλλὰ ἀνάστηθι καὶ εἴσελθε εἰς τὴν πόλιν.