J’appellerai grotesque le fait, pour un discours ou pour un individu, de détenir des effets de pouvoir dont sa qualité devrait les priver. On devrait définir une catégorie précise de l’analyse historico-politique, qui serait la catégorie du grotesque ou de l’ubuesque. La terreur ubuesque, la souveraineté grotesque ou, en termes plus austères, la maximalisation des effets de pouvoir à partir de la disqualification de celui qui les produit, n’est pas un accident dans l’histoire du pouvoir, ce n’est pas un raté de la mécanique. Il me semble que c’est l’un des rouages qui font partie inhérente des mécanismes du pouvoir.

Il faut imaginer le Joker au pouvoir
Quand le dimanche s’annonçait sans nuage,
Nous exhibions nos beaux accoutrements
Et nous allions voir le décervelage
Ru’d’l’Echaudé, passer un bon moment.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervelle sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler.
Le Chœur: Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu!
Ce rouage est fort ancien dans le fonctionnement politique de nos sociétés. Vous en avez des exemples éclatants dans l’histoire de l’Empire romain, où ce fut une manière, sinon de gouverner, du moins de rendre acceptable la domination, que cette disqualification qui fait que celui qui est le détenteur de la majestas, de ce plus de pouvoir par rapport à tout pouvoir quel qu’il soit, est en même temps, dans sa personne, dans son personnage, dans sa réalité physique, dans son costume, dans son geste, dans son corps, dans sa sexualité, dans sa manière d’être, un personnage infâme, grotesque, ridicule.
Le grotesque, c’est l’un des procédés essentiels de la souveraineté. Il me semble qu’il s’agit de manifester de manière éclatante l’inévitabilité du pouvoir, qui doit fonctionner dans toute sa rigueur et à la pointe extrême de sa rationalité, même et surtout quand il est disqualifié.