Les saisons, la montée des sèves, les couvées et les chants, la vibration des millions d’ailes dans la torpeur des étés, le crépitement des gousses mûres qui éclatent par la genêtière, la houle des vents d’équinoxe où criaillent dans la nuit, loin au-dessus des cimes grondantes, les grands vols de migrateurs, la lente chute balancée, hésitante, des premières feuilles à peine jaunies, leur demi-mort qui frôle la terre, palpite un instant, et consent, et déjà le chuchotant murmure des feuilles qui tombent, qui tombent encore sur les feuilles mortes de tant d’automnes.
Le craquement supplicié des aubiers que tord le gel sous le feu bleu des clairs d’étoiles, le silence feutré de la neige où s’entendent, très loin dans une combe, les coups d’une cognée au travail, et tout près, inattendu, le petit cri vif et pur du troglodyte sous le roncier, le bourdonnement de la première abeille sur les premiers chatons du saule, les nappes de la feuillote nouvelle qui déjà s’étalent, suspendues, lumière verte où le col d’un pouillot semble nager jusqu’à son nid, toute la vie de la forêt dans son ardeur, sa beauté sauvage, ses flux et ses reflux plus amples que ceux de la mer, où trouverait-elle incarnation plus belle que dans ces grandes créatures errantes, ces bêtes douces qu’elle aime et dérobe comme le plus beau de ses secrets?

Maurice Genevoix