I Salvatore Rosa, alchimiste et truand

Salvatore Rosa (1615-1673) a eu de nombreux visages: peintre et sculpteur, poète et satiriste, philosophe et dramaturge, musicien, fondateur de l’Académie des Coups-de-poing, amateur d’alchimie, habile escrimeur, gentilhomme arrogant. Et brigand des Abruzzes …
Cette variété d’âmes lui procura une immense notoriété entre le 17ème et le 19ème siècle. Très aimé des romanciers, surtout des femmes disait de lui John Constable. Comment mieux dire que les admirateurs de Rosa n’étaient pas des gens rassis, des critiques et des professeurs, mais des inventeurs d’histoires, pour la plupart des femmes, en tous les cas des gens à l’imagination débordante.

En confondant le peintre avec ses personnages et en interprétant ses œuvres dans l’optique du Sublime, le Romantisme européen et en particulier anglais -avec Lady Morgan, qui fut naine, exaltée, distinguée, irlandaise- a construit le mythe de l’artiste ténébreux, hâbleur, alchimiste, philosophe et bandit … Sa figure historique en était devenue méconnaissable..

e71cf-salvator_rosa_self_portraitIl ne faut pas s’étonner que ce singulier intellectuel du 17ème siècle soit devenu plus populaire comme héros d’opéra lyrique, ballets et films (Blasetti en 1939 lui dédia un amusant film de cape et d’épée avec Gino Cervi) que célèbre en tant qu’artiste.

Revanche posthume et occasion précieuse pour découvrir sa peinture que la superbe exposition en cours à Capodimonte. La rétrospective explore un aspect de son œuvre auquel le peintre tenait beaucoup, celui des compositions de personnages: portraits, allégories philosophiques, sorcelleries, scènes de l’histoire biblique et mythologique. Pour cette première monographie italienne dédiée à l’artiste, Capodimonte accueille une centaine d’œuvres -25 gravures et 86 tableaux de Rosa et d’artistes de l’époque- qui témoignent du talent varié du peintre napolitain, capable de rassembler toutes les inspirations offertes par la peinture de son temps en une formule stylistique absolument originale.

Les tropismes méditerranéens de sa peinture, Rosa les a travaillés dans cette pépinière du caravagisme que fut à Naples l’atelier de Aniello Falcone. Il a engrangé bien des moissons diverses au cours d’une existence nomade qui le vit à Rome en quête de gloire à 20 ans, puis, de 1640 à 1649, dans la Florence médicéenne de Galilée et des alchimistes et enfin définitivement à Rome: lumières voilées, ombres et idées venues de Dughet, Schönfeld, Filippo Napoliteno, Pierfrancesco Mola, Jacques Callot, Lorrain et Poussin.

the-national-gallery-level-2-1600-1700-salvator-rosa-witches-at-their-incantations-3Nécromants

L’exposition de Capodimonte prouve l’inclination de Rosa, manifeste dès son séjour florentin, à peindre des portraits philosophiques, des vanités et de grandes allégories historiques et mythologiques plutôt que des tableaux de genre comme ceux qui le firent connaître auprès des ses contemporains: batailles furieuses et sans héros, paysages sauvages peuplés de mendiants et de mercenaires ou scènes de nécromancie traitées dans le genre des capricci.

L’exposition s’ouvre sur le célèbre Autoportrait (1641-1645) de la National Gallery de Londres sur lequel le peintre avertit en latin: Tais-toi ou si tu veux vraiment parler que ce soit mieux que le silence et se poursuit avec les autoportraits bouffons qui fascinèrent tant les romantiques anglais: du célèbre Autoportrait en habit de guerrier de Sienne, le visage décidé, la main sur l’épée, sereinement prêt à affronter l’ennemi, à son portrait comme Poète antique du Palais Pitti ou encore à celui opposé de l’Allégorie de l’étude.

Le musée de Capodimonte dédie un grand espace aux sorcelleries, (Sorcières et incantation(1646) de Londres et Sabbat de sorcières (1649) de la Galerie Corsini de Florence pour ne citer que deux œuvres parmi les plus connues) envahies d’atmosphères de cauchemar et peuplées de squelettes et de monstres, auxquelles ne pouvait manquer les Tentations de Saint Antoine (env. 1645), le tableau dans lequel ce monde supraterrestre et démoniaque apparaît pour la première fois sur les toiles de Rosa.
Parmi les œuvres qui devaient le consacrer comme peintre d’allégories morales, on distingue le chef d’œuvre stoïcien du Martyr Atilius Regulus (1650), le Démocrite en méditation et son pendant Diogène avec l’assiette, le magnifique Prométhée à l’impressionnante crudité, tous datés entre 1650 et 1652.

L’exposition se termine sur un Rosa plus connu, peintre de batailles et interprète magnifique du style pittoresque, avec 16 paysages où éclate sa très grande capacité d’invention. C’est le cas de l’exceptionnel Embuscade de soldats dans un antre rocheux où Rosa, virtuose du pinceau, réussit avec quelques lueurs sur des cuirasses noires à faire deviner, dans l’ombre, la présence d’hommes armés.

125876405_1036253900156571_2122133155860817982_nDu catalogue (épuisé) de l’exposition de Capodimonte

Traduit par Marion Pécout

A suivre …