Je passais la nuit dans un motel au bord de la E3

Là, dans ma chambre, il y avait une odeur déjà
Rencontrée auparavant dans les collections orientales d’un musée:
Des masques tibétains, japonais, sur un mur clair. Ce ne sont plus des masques mais des visages
Qui traversent le mur blanc de l’oubli pour respirer, pour poser une question.

Je reste éveillé et je les vois se battre et disparaître et reparaître.
Certains prêtent leurs traits à d’autres, ils changent de visage
Au plus profond de moi, là où la mémoire et l’oubli font leur maquignonnage.

1Je passais la nuit dans la maison sonore.
Un chant anonyme est noyé dans les murs. Des coups discrets qu’on ne veut pas entendre, des soupirs prolongés, mes anciennes répliques qui rampent orphelines.

Je dois souvent rester tout à fait immobile.
Je suis le partenaire du lanceur de couteaux!

Je passais la nuit au motel des somnambules.
Certains visages ici sont désespérés,
D’autres gommés
Après leurs pèlerinages au pays de l’oubli.
Ils respirent, disparaissent, se battent pour revenir

Ils passent sans me voir
Ils marchent vers l’icône de la justice enterrée sous la terre

Thomas Tranströmer

Pierre Alechinsky